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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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Il vient de cracher à la sainte face de la divinité. Au bourreau, Aristarque !
    Ptolémée fronça les sourcils :
    — Tu vas effectivement trop loin, l’astronome. Tu quittes là le sentier sûr de la géométrie pour remettre en question l’ordre avéré du monde. Je te somme de t’expliquer dans un procès public.
    Le grand-prêtre se prosterna devant le roi et supplia :
    — De grâce, divin monarque ! Un procès public serait la pire des choses et déclencherait des catastrophes inimaginables. Grâce à votre père le grand Sôter, les nations sur lesquelles vous régnez se satisfont toutes du culte de Sérapis. Que diront les Grecs quand on leur affirmera que l’Olympe n’est plus qu’un monticule et qu’Apollon seul règne en maître sur l’univers ? Les Juifs, je les entends déjà palabrer interminablement sur leur Josué qui arrêta la course du Soleil et les sept jours que leur dieu mit à créer le monde. Ces gens-là sont si prompts à la récrimination et au complot ! Mais surtout, seigneur, craignez la populace égyptienne ! Que des agitateurs leur fassent croire que le Râ antique flamboie à nouveau au-dessus des tombeaux des pharaons morts, et des émeutes éclateront ; ils remettront en cause votre essence divine ; votre trône tremblera ; le temple de la déesse, le Sérapion, sera à l’abandon. Et tout cela par la faute de ce dément, qui parle de la Terre comme d’une luciole et du Soleil comme d’une lanterne. Dément… ou traître à son roi !
    Aristarque de Samos bondit sous l’outrage. Sa forte carrure s’était développée lors de ses longues marches dans le désert, ses montées en haut des pyramides qui lui servaient d’observatoire et une pratique quotidienne du gymnase. Il brandit le bâton d’Euclide et se dirigea, menaçant, vers le prêtre. Les gardes eurent bien du mal à le contenir.
    Le mage de Sérapis lui cracha à la face :
    — Tu seras plus utile à la science lorsque ta misérable carcasse sera disséquée sur la table de maître Hérophile !
    Le roi imposa silence et décida qu’il y aurait procès, mais à huis clos. Il demanda à l’astronome qui il voulait choisir comme défenseur.
    — Archimède de Syracuse, répondit Aristarque. Celui-là saura bien vous convaincre.
    Le choix du génial inventeur de la vis sans fin comme avocat était d’une grande habileté. Depuis longtemps en effet, Ptolémée Philadelphe cherchait à attirer Archimède à Alexandrie, mais celui-ci se dérobait toujours, malgré les mirifiques propositions que le Musée lui faisait. Certes, il y était venu autrefois, mais seulement pour suivre des cours et consulter les ouvrages d’Euclide, dont il était l’évident successeur. Puis il était reparti à Syracuse. Il n’en avait plus bougé depuis, se contentant d’une correspondance assidue avec ses collègues du Musée. Ses communications éblouissaient les géomètres, mathématiciens et astronomes. Il avait inventé nombre de figures nouvelles, tels les sphéroïdes et les conoïdes droits, étudié avec bonheur les lois des fluides, des corps flottants, du levier et bien d’autres choses encore qu’il serait trop long de t’expliquer.
    Ptolémée Philadelphe s’impatientait. Comme tous, il était impressionné par les découvertes du savant sicilien. Il lui écrivit personnellement pour le supplier, sinon de se rendre lui-même à Alexandrie, du moins de lui faire part de ses nombreuses inventions d’ingénieur. Archimède ne céda que sur deux d’entre elles : la meilleure manière de confondre un orfèvre indélicat ou un faussaire en immergeant les objets précieux, et cette vis qui irrigue aujourd’hui encore, Amrou, les champs de ta conquête. Mais de machines de guerre, point.
    Esprit plein de fantaisie, Archimède se dérobait en envoyant de faux théorèmes à ses collègues alexandrins, ou en leur soumettant des problèmes presque impossibles à résoudre, comme ces « bœufs du Soleil » dont les solutions sont de si grands nombres qu’ils en sont inaccessibles ( voir Note savante #6 ). Car les mathématiques, Amrou, sont aussi source de rire, de jeu et de musique. La Lune ne s’amuse-t-elle pas, certains soirs, à cacher de son malicieux sourire les étoiles aux astronomes ?
    Aristarque avait une autre bonne raison de prendre le savant sicilien comme défenseur. Il savait l’homme fort au fait des subtilités de la politique et de l’art de plaire aux princes.
    Issu d’une

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