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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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Ptolémée révolutionna la cartographie. Entreprenant une révision méthodique des anciens tracés, il calcula un nouveau planisphère, entièrement géométrisé, où il mit en application les principes théoriques d’Euclide. Il découpa l’œkoumène non pas seulement en quatre lignes de climats, comme l’avait fait Ératosthène, mais en lignes serrées, parallèles à l’équateur, toutes à intervalles égaux, jusqu’au pôle. Puis il porta des lignes perpendiculaires. Ainsi obtint-il une armature de méridiens et de parallèles couvrant l’ensemble des terres connues, depuis les colonnes d’Hercule à l’Ouest aux chaînes du lointain Himalaya à l’Est, de Thulé au Nord jusqu’aux sources du Nil au Sud. Les lignes numérotées permettaient de localiser n’importe quel point par deux nombres, la longitude et la latitude. Chaque ville, chaque fleuve, chaque montagne, chaque pays étaient ainsi positionnés sur le planisphère avec une précision sans précédent. Ptolémée fit exécuter vingt-sept cartes magnifiquement coloriées, qu’il relia dans un atlas de grand format : la Géographie. Un travail jamais égalé depuis, permets-moi de te le faire remarquer, Amrou.
    Ses commanditaires, bien sûr, furent éblouis, et tinrent leur promesse. Ptolémée le Géographe, comme il fut désormais appelé, se trouva à l’abri de tout souci matériel. Il démissionna de son poste au Musée pour s’installer à Canope. Là, sous un ciel plus pur que dans le quartier des palais, il put se consacrer exclusivement à sa véritable passion : la science des astres. Délaissant les honneurs, restant sagement à l’écart de l’agitation politique et religieuse, il continua cependant à fréquenter la Bibliothèque, lisant, relisant et annotant sans relâche les travaux de ses glorieux prédécesseurs, au premier rang desquels Hipparque de Nicée. Tout ce que ce dernier n’avait pu achever, Ptolémée l’acheva. Et bien mieux encore. Astronome, il dressa une carte du ciel, fixant la position de mille vingt-huit étoiles regroupées en quarante-huit constellations, elles aussi repérées par des coordonnées. Ingénieur, il construisit les meilleurs astrolabes de son temps. Musicien, il élabora une théorie mathématique des sons. Philosophe, il écrivit un profond traité sur les fonctions principales de l’âme.
    Mais surtout, Ptolémée développa de nouveaux modèles géométriques pour prédire les positions des corps célestes. Loin des mécaniques à rouage fort compliquées reliant les sphères entre elles, comme les avaient imaginées Eudoxe et Apollonios de Perge bien des siècles auparavant, Ptolémée utilisa de subtiles combinaisons de mouvements circulaires. Chez lui, l’élégance mathématique s’alliait toujours à la précision des données.
    Sa réputation allait en grandissant. Ptolémée consacrait une journée par mois à des démonstrations publiques. Il fit construire un vaste planétaire mécanique, représentation en miniature animée du nouveau système du monde qu’il venait de concevoir. C’est à l’issue de l’une de ces séances, où se bousculaient indistinctement notables, élèves et simples curieux, qu’un jour, un digne vieillard courbé par les ans s’approcha de lui. Ptolémée le reconnut à peine : c’était son maître Menelaus. Sans prononcer une parole, mais avec beaucoup d’émotion contenue, le modeste professeur tendit au glorieux élève un long objet soigneusement enveloppé dans une jaquette de cuir. Ptolémée défit les rubans qui l’attachaient : c’était le prestigieux bâton d’Euclide. Le sage Sénèque, avant de se suicider sur l’ordre de Néron, avait voulu que ce symbole du savoir ininterrompu retournât à sa source, Alexandrie, loin de la folie de Rome et de ses empereurs déments. Le bâton était resté vingt-cinq ans entreposé dans le bureau du fonctionnaire en charge de la Bibliothèque avant d’échoir à Menelaus, seul jugé apte à perpétuer noblement l’œuvre des Anciens. Un demi-siècle plus tard, l’heure était venue de transmettre le témoin. Et qui d’autre que Ptolémée aurait mérité de le recevoir en héritage ?
    En le quittant, le vieux géomètre engagea son ancien disciple à rédiger un traité dans lequel il exposerait méthodiquement l’ensemble de ses conceptions sur la structure du monde. C’est ainsi que Ptolémée entreprit son œuvre maîtresse, qu’il acheva vers l’âge de

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