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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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à vous, juifs et chrétiens, si vous voulez continuer à pratiquer votre religion, ma foi, il vous faudra payer.
    — Charmante perspective ! ironisa Rhazès. Nous autres en avons une vieille habitude. Mais je ne suis pas mécontent d’imaginer que nos persécuteurs d’hier devront mettre à leur tour la main à la bourse ! Pour Galien, je t’en ferai un résumé par écrit tout à l’heure. Quant à Héron, Hypatie me semble apte à en faire autant.
    — Toutes les histoires que vous m’avez racontées, je vais à mon tour les écrire. J’enverrai aussi des copies à d’autres personnes importantes de Médine. Peut-être réussiront-elles à faire plier Omar. Je dis bien : « peut-être ». Mais au calife, j’ajouterai quelque chose :
    Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé !
    Lis !
    Ce sont les premiers mots que dit au Prophète l’archange Gabriel, le messager d’Allah, dans la caverne du mont Hira où Mahomet connut la Révélation.
    — Splendide injonction, approuva Philopon. Je crois que je vais étudier ton Coran avec un peu plus d’attention.
    — Pas mal, en effet, consentit Rhazès. J’y perçois quelque écho du livre de Baruch.
    Lire, sans doute, songea Hypatie. Mais lire quoi et comment ? Lire le seul Coran ou avoir la curiosité de se pencher sur d’autres ouvrages ? Lire sans comprendre n’est pas grave. Lire sans douter est redoutable. Lire sans plaisir, ce n’est pas lire. Inutile de préciser cela à ce mâle Bédouin : il goûte par-dessus tout un seul plaisir, et je me verrais peut-être forcée de le lui offrir.

Sagesse barbare

Le message
    L’émir déroula avec volupté le rouleau qu’il avait fait chercher dans une échoppe des faubourgs et le posa en le caressant sur la tablette de bois précieux. Du papyrus égyptien, du meilleur, songea-t-il. Il le maintint à plat grâce à deux baguettes glissant dans leurs coulisses, puis le lissa d’une paume sensuelle. Enfin, il ouvrit son écritoire aux fines marqueteries d’ivoire et d’ébène en humant ses odeurs de santal et d’encens. Il posa sur leur support en porcelaine les pinceaux en poils de chèvre, y fixa la pierre à encre rectangulaire qu’il avait fait retailler, car à l’origine y étaient représentés des dragons et autres idoles païennes. Il y avait gravé lui-même, à la place, un verset du Livre : Sois patient ! Ta patience vient de Dieu. Amrou avait acheté cette magnifique écritoire à un marin persan alors que, jeune commis de son père, il s’était rendu à Sôhar, le port de la mer du Sud, y chercher une cargaison de soie venant du grand empire du Levant.
    Il versa un peu d’eau de sa gourde dans le creux de la pierre, y frotta le bâton d’encre jusqu’à ce que le mélange prenne la bonne épaisseur et y trempa la pointe de son pinceau.
    De l’émir Amrou Ben al-As au calife des vrais croyants Omar Ben al-Khattab, salut et que la paix d’Allah soit avec toi.
    En ce jour de la nouvelle lune de Moharem, dans la vingtième année de l’hégire [10] , j’ai conquis la grande ville du ponant.
    La ville a été prise à la force des armes et sans aucun traité. Les vrais croyants sont impatients de cueillir le fruit de leur victoire.
    Puis il énuméra les trésors d’Alexandrie, ses innombrables palais, bains publics, théâtres, parfumeries, orfèvreries, forges, filatures… Omar était d’une très fruste éducation. Il ne savait qu’à peine lire et écrire et s’en vantait. Le calife prétendait ainsi imiter le Prophète. Il pensait prouver, en laissant courir la rumeur que Mahomet était lui-même inculte, que tout lui avait été dicté de vive voix par le messager du Miséricordieux. Le calife, homme sombre, ne voyait la vie que comme une éternelle punition du Seigneur, persuadé que l’humanité tout entière complotait contre lui. Il était enivré de son pouvoir et jamais un doute ne le frôlait. Omar était autant haï que redouté. Hélas, tout le peuple arabe, sauf quelques élites, croyait que l’archange Gabriel parlait par sa bouche, même pour le plus cruel ou le plus absurde de ses décrets. En lui offrant ainsi Alexandrie, l’émir espérait l’amadouer. Il lui fallait jouer de son orgueil démesuré comme de sa principale faiblesse. Il lui fallait aussi jouer avec le temps. Omar n’était pas éternel. En dix années de complots et d’intrigue, en huit années de règne, il s’était fait nombre d’ennemis, et l’on ne comptait plus

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