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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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porte, elle se dirigea vers Synésius et lui brandit sous le nez un petit paquet de lingerie souillé de son sang menstruel :
    — Voilà ce que tu aimes, Synésius, et ce n’est pas beau !
    Rouge de confusion, Synésius s’enfuit en courant. On ne le revit plus de longtemps ; il était reparti en Cyrénaïque. Elle lui écrivit là-bas pour lui expliquer que sa réaction de honte était tout aussi excessive que l’amour indiscret qu’il lui portait. Si elle l’avait repoussé de la sorte, ce n’était que pour être irréprochable face à ses nombreux ennemis qui l’auraient accusée de débaucher la jeunesse. « Je ne peux aimer qu’en secret, avoua-t-elle, et y a-t-il plus beau secret que celui enclos dans une lettre ? »
    Dès lors, commença une correspondance qui dura des années. Mais il n’y était pas question d’amour. Ils communiaient dans le mouvement des astres et la trigonométrie, dans l’exégèse de Platon et les nombres musicaux. Et il apparut que Synésius n’avait pas fait que contempler Hypatie. Il l’avait écoutée, aussi, et bien retenu ses leçons. Sur ses conseils, il entreprit de s’engager dans la vie de la cité. C’est ainsi qu’il partit à Constantinople, ambassadeur de la Cyrénaïque. Là-bas, devant le jeune empereur Arcadius, il fit un discours Sur la Royauté. Il y exposait les conceptions philosophiques d’Hypatie sur le prince idéal, et dénonçait les mœurs décadentes de la cour. On eût dit que la belle savante parlait par sa bouche. Une fois son ambassade achevée, Synésius repassa par Alexandrie. Nul ne sait si Hypatie lui donna enfin satisfaction, mais elle l’obligea à se marier avec une fille de l’aristocratie chrétienne du quartier des palais, seul moyen, selon elle, de gravir les marches du pouvoir. Il rentra dans son pays où il se couvrit de gloire en triomphant des brigands du désert.
    Alors, tout en poursuivant sa correspondance avec Hypatie, Synésius mena en Cyrénaïque une vie de grand seigneur partagée entre la chasse et les plaisirs. Il publiait aussi des poèmes, des hymnes et homélies, des traités sur les rêves et sur la Providence. J’ai étudié ces œuvres avec assez de soin pour affirmer qu’elles ont pour auteur Hypatie, qui ne voulait pas s’afficher poétesse. Ses ennemis l’auraient aussi attaquée sur ce point.
    Un jour, Synésius reçut une lettre d’elle qui ressemblait à un appel au secours. On avait retrouvé le corps de Jean Bouche d’Or gisant sur le bord d’un chemin, assassiné par les tueurs de Théophile. Celui-ci, débarrassé de son pire ennemi, menaçait de revenir à Alexandrie. Synésius comprit ce qui lui restait à faire. Il se rendit à Constantinople et, devant l’empereur, se fit baptiser. Cette conversion était une aubaine pour l’Église, car à la suite de l’homme le plus influent de son pays, c’était toute la Cyrénaïque qui pourrait basculer dans le christianisme. Dans cette perspective, le patriarche lui proposa de l’élever tout de suite à l’épiscopat. Synésius posa ses conditions : il resterait en état de mariage, ne renoncerait pas à la doctrine platonicienne de la préexistence de l’âme et de l’éternité du monde. Contre toute attente, le patriarche accepta : le ralliement de la Cyrénaïque valait bien ces concessions. De son côté, Théophile lui demanda de se rendre sur-le-champ à Alexandrie pour y régler le contentieux qu’il avait avec le préfet d’Égypte, Oreste, jugé trop tiède dans la répression des hérésies.
    Sous l’évêché par intérim de Synésius et la préfecture d’Oreste, Alexandrie connut à nouveau une grande effervescence intellectuelle. Chrétiens, hérétiques ou non, juifs et platoniciens confrontaient leurs idées, non plus par la violence, mais par le verbe. Et pour le verbe, Hypatie ne craignait personne. Bien que l’accès au Musée lui fût à nouveau ouvert, elle ne s’y rendait que pour consulter quelque ouvrage dans la Bibliothèque. Son enseignement, elle ne le donnait que dans la rue. Son auditoire enthousiaste la suivait en foule. On y voyait souvent Synésius accompagné de son ami le préfet.
    La cité apprit un jour la mort du redoutable Théophile « le pharaon » qui, pourtant, n’était plus revenu dans son évêché. On espéra un moment que Synésius lui succéderait. Espoir vite déçu : avec ses deux sièges épiscopaux d’Égypte et de Cyrénaïque, le soupirant d’Hypatie serait

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