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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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les larges
plis de sa robe noire. François I er était devant elle, dressé
dans sa grandeur, imposant, glacial comme je ne l’avais jamais connu.
    « On vous voit rarement à la cour, Madame !
laissa-t-il tomber pour engager une conversation qui n’avait rien d’agréable.
    — Sire, je vous requiers avoir pitié de moi… »
    Je contemplais cette suppliante de vingt-quatre ans, son
corsage gonflé, ses paupières battantes et cette fièvre qui lui mangeait les
lèvres. La contenance, altière maintenant, et sa voix devenue vibrante étaient
celles d’une femme qui exigeait et qui s’en croyait le droit. Je me souvenais
d’elle quand la cour s’était rendue près de Rouen loger chez son père, le grand
sénéchal. Ce jour-là, « mon cousin », malgré la présence de Françoise
de Châteaubriant, avait été fort troublé par la beauté froide de la déesse
Diane, qui était restée d’une hautaine insensibilité. C’était tout le contraire
aujourd’hui :
    « Sire, je vous en supplie à deux genoux, faites grâce.
Je serai votre servante à jamais, la plus humble et la plus soumise de vos
sujettes.
    — Madame, je ne puis.
    — Sire, dans une heure, il sera trop tard. Le bourreau
n’attend pas.
    — Madame, l’ordre est parti. Je n’y puis revenir.
    — Sire, tout ce que j’ai… Moi ! Je suis à
vous ! »
    Elle lui baisait la main avec une passion inattendue pour
une telle statue de marbre. Je vis que mon roi fut tenté un court instant par
cette femme qui s’offrait mais cet être inassouvi de plaisirs faisait passer
l’honneur avant tout et il n’eût pas manqué de considérer, en obtenant
facilement les faveurs d’une femme venue lui demander merci pour son père,
qu’il avait forfait.
    Il l’écarta cependant avec une certaine rudesse, se rendit à
sa table, prit une plume et, d’un trait, il écrivit :
    « Je, le roi, fais grâce de la vie à Jehan de Poitiers,
seigneur de Saint-Vallier. De notre pleine puissance et autorité royale,
commuons en la peine ci-après déclarée : c’est assavoir que ledit sieur de
Poitiers sera mis entre quatre murs pour le reste de sa vie. Car tel est notre
plaisir. »
    On nous narra que les deux bourreaux, sous les yeux de la
populace qui attendait le supplice avec impatience, avaient fait mettre à
genoux Saint-Vallier en le priant de requérir pardon à Dieu et au roi. Le
premier bourreau s’approchait avec sa hache luisante quand un archer du roi,
enfonçant ses éperons dans les flancs ensanglantés de son cheval, s’ouvrit un
passage au milieu de la foule en hurlant :
    « Holà ! Cessez ! Cessez ! Voilà la
rémission du roi ! »
    Il tendit au second bourreau la lettre patente officielle
scellée de cire verte sur lac de soie. Les bourreaux dépités se retirèrent et
le peuple se dispersa, murmurant, déçu de ne pas voir au bout d’une lance la
tête tranchée qu’on lui avait promise. Quant à Monsieur de Saint-Vallier, entre
les quatre murs de pierres maçonnées dessus et dessous de sa prison avec juste
une petite fenêtre par laquelle on lui administrait son boire et son manger, il
garda jusqu’à la fin de sa vie une pâleur mortelle.
    Marignan était loin. La guerre perdait son panache Nous
subîmes une lourde défaite à la bataille de La Bicoque, ce qui signifia la
perte définitive du Milanais. Mais pour François I er , porter la
guerre en Italie devenait plus une obsession qu’une politique. Il ne
s’arrêterait pas à cet échec.
    Pendant que notre reine, avec de plus en plus de peine,
donnait naissance à un petit Charles, troisième fils du roi, la « belle
amitié » d’Henry VIII se muait en une déclaration de guerre en bonne
et due forme.
    Et on parlait encore et toujours de guerre, j’en avais la
tête toute farcie sans que mon esprit farceur puisse s’exprimer. Il me fallait
quitter la cour pour me changer les idées. Me débarrassant de mes habits de
bouffon, je redevenais un bossu comme un autre pour me rendre dans la ville
voisine où il y avait souvent jours de foire. Je passais inaperçu au milieu de
l’immense foule fascinée par les colporteurs tout bardés de médailles pérorant
des gaillardises pour mieux vendre leurs pommades aux vertus curatives, par les
funambules, au-dessus de nos têtes, qui risquaient leur vie (et la
nôtre !) en cherchant leur équilibre sur un fil relié entre deux toits,
par les arracheurs de dents qui agitaient leurs pinces incisives attendant

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