Le bouffon des rois
le bonheur de ses frères et sœurs
et pour « le plus grand plaisir du roi » qui me glissa à l’oreille en
prenant bien garde que Madame de Châteaubriant n’entendît pas :
« Tu surveilleras la chambre de Madame Françoise
pendant que je m’acquitterai de ma visite annuelle chez la reine maintenant
qu’elle a accouché. »
Il commençait à mettre en doute la fidélité de sa maîtresse,
Louise ayant sournoisement décidé de perdre la favorite dans l’esprit du roi en
l’accusant de collectionner les amants. Mais la cour ne fait pas que colporter
des ragots d’alcôves, elle fourmille de nouvelles venues de toutes les parties
du monde : du Portugal où un navigateur nommé Femão de Magalhães est parti
agrandir le monde. Pourquoi ne pas en faire le tour pendant qu’il y
était ? Comme si on pouvait tourner autour de la terre ! Quand
Magellan sera arrivé au bout de l’océan, il verra bien qu’il n’y a que le vide
et il sera alors obligé de revenir. Encore une entreprise coûteuse qui
n’aboutira à rien !
On apprend aussi l’avènement de Soliman le Magnifique en
Turquie. On dit de lui que c’est un être qui brille d’une indiscutable
primauté.
Il y a deux
empereurs
Pour notre
malheur
L’un à
l’Orient,
C’est
Soliman.
L’autre n’est
pas loin,
C’est Charles
Quint.
La dernière nouvelle arrive toute chaude d’Allemagne, de Worms
exactement où se sont réunis les États du Saint-Empire germanique. Qui
présidait cette diète ? Charles Quint en personne. Qui fut excommunié et
mis au ban de l’Empire ? Martin Luther, à la suite de la publication de
ses trois traités réformateurs. Des savants à la cour ? Monstruosité
rare ? Que nenni ! Elle en était bien pourvue et l’on pouvait, grâce
à eux, rendre compte de la grandeur de la France malgré la petitesse des mœurs
de la cour. Mais à cause de cette maudite diète, nous allions perdre l’un des
hommes les plus savants de notre siècle. Il se nommait Jacques Le Febvre
d’Étaples, c’était un polygraphe émérite qui avait publié une édition des
Épîtres de saint Paul que j’avais lue et relue avec enthousiasme, étant en
plein accord avec ses commentaires où il émettait des opinions dogmatiques qui
le séparaient de l’Église romaine, rejetant la prédestination, n’admettant pas
que la foi seule puisse sauver, et attachant une médiocre importance à la
confession. Il rejoignait ainsi les thèses de Luther. Certaines de ses
affirmations allaient être entachées d’hérésie par la Sorbonne et ses livres
saisis par ordre du Parlement.
Il n’avait plus qu’à s’enfuir de la cour s’il voulait ne pas
subir le sort qu’on réservait aux hérétiques. Il trouva asile à Strasbourg.
Tout au début de l’année 1521 – décidément je n’aime
pas les mois de janvier –, la neige ensevelissait les bois autour du
château de Madame, à Romorantin, où le roi tenait souvent sa cour. C’était son
soir : le soir des Rois et François s’ennuyait, il voulait sans cesse de
l’action. Nous fumes obligés de le suivre dans le froid et la tourmente pour
aller assaillir à coups de boules de neige l’hôtel de Saint-Pol, l’un de ses
compagnons d’armes. Dérangé au milieu d’un festin, Saint-Pol ouvrit sa fenêtre
et jeta sur nous un gros tison enflammé qui tomba sur la tête du roi. On le
transporta d’urgence dans une chambre où les chirurgiens du château le crurent
perdu ; il était aveugle, le crâne brûlé. On fut obligé de lui couper ses
beaux et longs cheveux dont il était si fier. Toute la cour, dès le lendemain,
se mit à porter les cheveux courts. Madame, folle de douleur, entra dans ses
grandes fureurs et parla d’arrêter Saint-Pol. Le roi blessé s’y opposa
fermement :
« Laissez-le. J’ai fait cette folie, il est juste que
j’en sois puni. »
Le bruit de sa mort courait déjà hors de France. Il se fit
parer, farder et reçut, encore défaillant mais le sourire aux lèvres, les
ambassadeurs étrangers afin de leur montrer qu’il régnait toujours et qu’il
entrait dès cet instant en guerre avec Charles Quint.
Et nous voilà revenu dans la série « Je trahis le roi
de France », deuxième saison. Madame Louise ne relâchait pas un instant sa
haine pour la favorite qu’elle rendait responsable des folles dépenses du roi
et elle avait décidé de séparer son fils de cette femme qu’elle jalousait comme
une rivale. François I er
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