Le bouffon des rois
de diriger l’invasion de la France
par leurs armées et de soulever le pays contre François I er qu’il disait détesté par son peuple parce que trop livré aux emportements de
ses passions. Le roi ne voulut pas croire qu’une telle trahison fut
possible ; il ne comprenait pas qu’on pût le haïr à ce point, lui qui
était incapable de jalousie ou d’animosité.
Il alla voir le connétable et lui demanda si les tractations
avec Charles Quint étaient choses avérées. Le connétable eut le front de lui
répondre sans sourciller :
« Non, Sire.
— Je sais tout et je suis sûr de mes sources. Qu’il
vous souvienne bien de ce que je dis là », renchérit le roi.
Les yeux d’épervier du félon étincelèrent :
« Sire, vous me menacez ? Je n’ai pas mérité
d’être traité ainsi. »
Quelques heures plus tard, il s’enfuit dans le Bourbonnais
où il trouva refuge dans l’un des plus inaccessibles châteaux de montagne,
appartenant à Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, qui se plaignait
d’être négligé par le roi. Là se réunirent tous les conjurés qui jurèrent sur
l’Évangile de livrer la France à la coalition formée par le triumvirat
Henry-Charles-Clément.
Mais le connétable s’était lourdement trompé sur un point
essentiel : « Le naturel des Français est de n’abandonner jamais leur
prince dans le danger. » François ordonna sur-le-champ la chasse aux
traîtres. On attrapa Monsieur de Saint-Vallier, complice du connétable, qui,
sans même un procès, fut condamné à avoir la tête tranchée, la mort infamante
des traîtres, des criminels de lèse-majesté. Saint-Vallier, qui savait tout du
complot, donna les noms de tous les conspirateurs et conjurateurs, espérant
ainsi le pardon du roi, mais l’échafaud était dressé place de Grève attendant
sa nouvelle proie et il n’était pas question de pardonner. Mon bon roi avait
été atteint à l’endroit le plus sensible : le cœur. Je voyais bien qu’il
souffrait de se montrer impitoyable mais je le consolai en lui disant que,
parfois, la grandeur demande que l’on ordonne des actions contre sa nature et
je le tirai par la main pour l’emmener voir sur le mur du château le F couronné
et la Salamandre crachant le feu, avec sa devise gravée : Nutrisco et
extinguo [9] .
La fille unique de ce félon, Diane de Poitiers, était fille
d’honneur de la reine Claude. Elle était « belle à la voyr, honneste à
la hanter » avec une voix plus mélodieuse que toutes les sirènes
d’Ulysse réunies. C’est cette voix qu’on entendait chez Madame depuis des
heures implorer la grâce de son père.
Elle se traîna ensuite aux genoux de Marguerite et de la
reine mais elles ne purent que lui répéter :
« Le roi ne fera pas grâce devant une telle
faute. »
Nous étions dans son cabinet où François écrivait une lettre
à Érasme dans laquelle il lui signifiait son intention de lui confier la
direction d’un collège qu’il voulait fonder à Paris où on enseignerait
gratuitement le grec, l’hébreu, le latin, les mathématiques, la médecine et la
philosophie. Il s’interrompit dans sa rédaction, la reine Claude venait de se
faire annoncer. Il l’accueillit comme toujours avec tendresse et compassion.
« Sire, lui dit-elle, pour l’amour de moi, recevez la
grande sénéchale. »
Diane de Poitiers avait dû la bouleverser par ses prières.
Comme François ne répondait rien, elle insista :
« Je ne vous ai jamais rien demandé, mon doux seigneur.
Vous connaissez ma discrétion et mon humilité, alors accordez-moi aujourd’hui
ma première sollicitation. »
Le roi la prit sous son bras et l’assit dans son fauteuil.
La fragile Claude était encore enceinte et allait bientôt donner un sixième
enfant à son époux-roi. François marchait de long en large, préoccupé :
« M’amie, nous sommes entourés de traîtres. Nos vies,
celles de nos enfants, le royaume même ne sont plus en sûreté. Je ne peux
faiblir en cette grave affaire.
— Mais, Sire, pour être juste, il faudrait abattre
d’autres têtes…
— Nous les avons toutes, ma douce amie, hormis le
connétable qui s’est enfui. Ils seront tous châtiés comme ils le méritent.
— Pour l’amour de moi, recevez la fille de Monsieur de
Saint-Vallier.
— Je ne peux vous refuser votre demande mais dites-lui
bien qu’il n’y a rien à espérer. »
Diane de Poitiers était à genoux, effondrée dans
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