Le bouffon des rois
charmants petits rondeaux chantant ses
amours et celles des autres.
Si François avait son fou (moi, en l’occurrence !),
Marguerite avait une folle nommée Cathelot, une naine acariâtre, qui la suivait
partout en trottinant sur ses petites jambes. C’était une virago. Sa bête de
mère faisait encore dire des messes dans l’espoir de la voir grandir. Elle me
harcelait littéralement et clamait à qui voulait bien l’entendre que nous
allions bientôt convoler en justes noces. Il n’en était nullement question. Je
n’avais pas envie de me retrouver dans un lit, encore moins le reste de mes
jours, avec un ersatz de femelle. Je m’en suis débarrassé avec la complicité
des médecins du roi qui lui affirmèrent que les plaisirs de l’amour énervent
les petites personnes et le plus souvent leur deviennent funestes, surtout
quand ils sont pratiqués avec un bossu.
Mais la rumeur avait vite fait le tour des conversations de
la cour et les moqueries à mon encontre allaient bon train. Ah !
Courtisans ! Vil razza damnata ! Toutes ces femmes et ces
hommes ne sont là que pour y trouver source de profit. Je les observais se
pousser du coude pour tenter de se faire remarquer, de décrocher le regard
bienveillant d’une personne haut placée, un sourire du roi, être dans les
bonnes grâces de la reine, plaire à Madame, se nourrir d’un signe de tête de
Madame la duchesse. Tous ces avilissements, ces faux-semblants, pour bénéficier
d’un fragile avancement !
Parfois des haut-le-cœur me prenaient et j’allais vomir
tripes et boyaux tant cet étalage de flagornerie me dégoûtait. La vie de cour
pouvait changer beaucoup un homme ou une femme et pas toujours pour le
meilleur.
Les femmes peaufinaient leur art d’être une femme en se
transformant en femme de cour, en courtisane, manipulant les hommes, les
caressant dans le sens du poil (et autrement bien entendu !) et en leur
faisant bien croire qu’ils régentaient tout. Et les hommes ne manquaient jamais
de tomber dans le panneau.
Nous nous rendîmes à Chambord pour nous rendre compte de
l’évolution des travaux. Il pleuvait fort ce jour-là, ce qui mettait mon roi de
fort mauvaise humeur, je tentai d’apaiser sa colère :
« Ne nous plaignons pas de ce déluge, “mon cousin”
cette abondance de pluie ne peut être que bénéfique pour faire pousser plus
vite ce somptueux bouquet de pierres. » Pour éviter de patauger dans la
boue, nous passâmes sur des passerelles de bois qui enjambaient de profondes
mares formées par ce gros orage. Elles étaient dépourvues de parapets et comme
nous nous y aventurions en cherchant à conserver notre équilibre, mon roi bougonna :
« Comment se fait-il qu’on n’ait pas eu la précaution
de mettre des garde-fous ?
— C’est qu’on ne savait point que nous dussions passer
par là ! » fut ma réponse immédiate.
Belle riposte qui eût valu bon nombre d’étrivières à un
pauvre insolent qui n’aurait pas eu le privilège d’être le bouffon du roi.
Pourquoi faut-il que les tragiques événements se succèdent,
comme s’ils s’étaient concertés et avaient attendu un moment de félicité pour
frapper plus sûrement et plus lourdement ?
Clément Marot avait rimé juste ce jour-là :
On dit bien
vrai, la mauvaise fortune
Ne vient jamais
qu’elle n’en apporte une
Ou deux ou trois
avecques elle…
D’abord, la très noble et bonne dame Claude de France
« s’en alla en joie, laissant à ses amis tristesse »,
mourant en paix à l’âge de vingt-cinq ans.
Elle avait connu chacune des trahisons de son époux, elle en
avait été peinée dans sa chair mais son âme chrétienne avait pardonné. Si elle
avait surtout connu les souffrances de l’amour, elle n’en avait pas eu les joies.
Clément Marot lui compose une épitaphe insistant sur son
grand détachement des choses de la terre, sur ce dégoût d’une vie qui lui avait
apporté tant de chagrins, de deuils et de larmes depuis son adolescence.
Cy gist envers,
Claude, royne de France
Laquelle avant
que mort luy fit oultrance
Dit à son âme
(en guettant larmes d’œil) :
Esprit lassé de
vivre en peine et deuil,
Que veulx-tu
plus faire en ces basses terres ?
Assez y as vescu
en pleurs et guerres :
Va vivre en paix
au ciel resplendissant,
Si complairas à
ce corps languissant.
Sur ce fina par
mort qui tout termine
Le lys tout
blanc, la toute noyre hermine ;
Noyre d’ennuy,
et blanche
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