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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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qu’elle
contient, elle frappe de nullité tout accord matrimonial qui accorderait ma
fille Claude à un autre que le petit duc de Valois-Angoulême. Cela ne
m’empêchera pas de promettre Claude à Charles de Gand et de la doter largement
de duchés et de comtés qui raviront ses parents et grands-parents. Il sera
toujours temps plus tard de me délier de mes engagements. »
    Mon estomac était tellement noué qu’il n’aurait pu émettre
le moindre gargouillis, je retenais à tel point mon souffle que je ne me
souviens pas d’avoir seulement respiré et aucun de mes grelots ne s’était
manifesté fût-ce par le plus discret des tintements, mais mon silence devait
être si bruyant qu’il fit se tourner vers moi d’un même mouvement le roi et son
conseiller. Les regards qui me transpercèrent étaient d’une clarté limpide même
si on y voyait la noirceur d’une terrible menace. Le secret était d’importance
et j’avais compris que si je ne savais pas tenir ma langue, elle me serait arrachée
dans l’heure pour régaler Muguet.
    Je fus le roi (eh oui, c’est à mon tour !) des grandes
réjouissances qui célébrèrent les fiançailles des deux bambins. Le peuple fêta
triomphalement les parents. La reine Anne, au comble de la joie, persuadée
qu’elle avait vaincu la volonté de son époux-roi de France, ne savait que faire
pour le contenter. On se serait cru dans la rare entente parfaite d’une réunion
familiale. Je ne pus me retenir de m’esclaffer quand j’entendis mon roi se
pâmer d’admiration devant le berceau du petit poupon Charles noiraud et tout
ridé :
    « Que voilà un beau prince ! »
    On évita de montrer trop longtemps la petite Claude à ses
futurs beaux-parents, prétextant qu’elle avait besoin de beaucoup de repos dans
un endroit moins bruyant. Ils n’eurent pas le temps de remarquer les
imperfections et l’absence de beauté de la petite fiancée. Au bout de quelques
jours de festes et de bombances, on en arriva à un accord pour une paix
proche et durable avec Philippe de Habsbourg et Jeanne d’Aragon et avec
Maximilien, le grand-père de Charles de Gand. Les adieux furent intenses
d’émotion à la fois feinte et sincère et la séparation se fit «  en
toute doulceur  ».
    Deux années s’étaient écoulées depuis mes débuts dans la
haute bouffonnerie. Au titre officiel de premier bouffon de la cour du roi
s’ajouta une pension que l’on pouvait qualifier de royale, autre signe
constitutif de ma fonction.
    Comme je te l’ai déjà dit, ces pièces d’or et d’argent ne
m’étaient pas d’une grande utilité puisque je ne manquais de rien. J’en
distribuais quelques-unes en faisant l’aumône à quelques pauvres hères et à
quelques familles que je savais dans la misère, mais je me refusais à
engraisser les gens d’Église en achetant leurs prétendues indulgences. La foi,
l’espérance, la charité étaient leurs maîtres mots mais plus que tout cela j’y
voyais le profit qu’ils ne cessaient d’en tirer.
    Mes rapports avec Dieu ne s’étaient pas détériorés mais
disons que le doute s’était confortablement installé dans mon âme. J’expliquais
cela par les scènes d’horreurs que j’avais été contraint de voir pendant la
guerre. J’étais surtout très méfiant envers ces intermédiaires qui se servaient
de la crédulité de leurs fidèles pour s’enrichir. Que devenait tout cet
argent ?
    « Dieu vous le rendra ! nous disaient-ils.
    — Dieu a-t-il besoin d’argent ? Est-ce lui qui l’a
inventé ? leur répondais-je.
    — Il faut marcher plus près de Dieu, m’avait-on souvent
répété durant ma “retraite monastique”.
    — Dieu a-t-il des jambes ? Il se déplace
comment ? demandais-je innocemment.
    — Sois un bon chrétien. Sois charitable. Vis ta vie en
vertu de tes goûts autant que de tes besoins.
    — Cela tendrait à signifier que tout est permis, que je
peux faire ce que je veux ?
    — Oui, mais sans faire offense à Dieu et à sa
Création. »
    Ah, c’est commode ! Tempête dans mon gros crâne où se
bousculaient invocations confuses, les dix commandements, les Évangiles, les
épîtres comme celle de saint Paul aux Corinthiens que je pensais écrite pour
moi :
     
    Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre
les sages. Que celui d’entre vous qui paraît sage devienne fou pour être sage
car la folie de Dieu est plus sage que les hommes… Si quelqu’un parmi vous
pense

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