Le bouffon des rois
anciens.
On les a
peints ou mis dans les livres d’histoire ;
Mais nous,
nous ne voulons rien en savoir.
S’ils ont
bien fait, on en a grand bien ;
S’ils ont mal
fait, on en a les maux.
Nous marchons
par d’autres chemins.
Pout tout
dire, nous sommes gens nouveaux
Les vieux ont
régné, il suffit ;
Chacun doit
régner à son tour.
Chacun ne
pense qu’à son profit,
Car après la
nuit vient le jour.
Faisons les
oiseaux voler sans ailes,
Faisons les
gens d’armes sans chevaux :
Ainsi
serons-nous gens nouveaux.
Faisons les
avocats donneurs d’aumônes,
Et qu’ils ne
prennent plus notre argent
Sous peine de
passer pour faux :
Ainsi
serons-nous gens nouveaux.
Qu’il soit noble, bourgeois ou manant, l’homme de la Renaissance
reconnaissait son voisin dans la caricature de chacun des personnages et se
moquait de son ridicule en ne se doutant pas que c’était sa propre image qui
était représentée et déclenchait l’hilarité générale. Cette gaieté était
vivifiante et permettait, le temps d’une représentation, d’oublier les
tribulations d’une vie difficultueuse.
« Mon cher Triboulet, toi qui lis le latin et qui le
parles tout aussi bien, tu te doutes que l’étude approfondie des comiques
latins a été pour moi une source d’inspiration inépuisable. C’est grâce à eux
si notre théâtre aujourd’hui peut se targuer de palingénésie. »
J’étais fier de comprendre tout ce qu’il me disait et je
n’étais jamais rassasié de l’écouter, buvant ses paroles et dévorant ses
écrits.
Les origines du théâtre n’étaient guère étudiées et ceux qui
s’y étaient intéressés n’en avaient que de vagues notions. Pierre Gringore,
lui, était érudit en la matière et savait faire partager sa passion. Il me
racontait que, en Grèce, au moins cinq cents années avant Jésus-Christ, se
produisaient des acteurs avec le visage noirci de suie et couvert d’un masque
de papyrus dont le jeu trivial et obscène traduisait une franchise et une
liberté d’esprit totales dans la satire des personnages en place, des mœurs et
des institutions. Il devenait intarissable quand il parlait des comédiens, de
leur manière d’aborder un personnage, de se l’approprier, du plaisir de
l’imagination, de la façon d’être rompu à cet exercice de l’esprit sans être
gêné par la présence de figures nouvelles ni par un public souvent bruyant et
versatile, de l’excitation avant de sauter sur les tréteaux, de la nécessité de
sentir et de créer seul un personnage.
Je le regardais bouillant, emporté, et j’avais l’impression
que c’était moi qu’il décrivait tant cela me ressemblait. Il parlait de moi
quand il dépeignait l’acteur qui entrait dans une sorte de délire en
développant des qualités brillantes, originales et naturelles. Et n’était-ce
pas bien me résumer en une phrase que de dire :
« Un talent pareil est rare et long à former. »
Il ajoutait :
« Il est plus facile de former dix acteurs pour la
comédie régulière qu’un seul pour la comédie improvisée. »
À ma grande stupéfaction, il m’apprit qu’à la fin du XV e siècle, un des premiers comédiens professionnels se nommait (de son vrai nom)
Triboulet.
En 1470, à la Feste des Roys, il avait créé La
Farce de Maître Pathelin en y interprétant le rôle-titre. Il partageait les
succès avec son Compère Maître Mouche. Joueurs d’expertise, experts en tours
d’acrobaties et de prestidigitation, leur réputation avait même dépassé les
frontières. Ils avaient tous deux trouvé une mort à la fois horrible et cocasse
qui collait bien avec leurs personnalités : alors qu’il représentait un
mystère de la passion du Christ, Maître Mouche jouait le rôle de Judas et
devait faire semblant de se pendre. Il y mit un tel zèle de repentance qu’il se
pendit pour de bon et déclencha des cascades de rire en s’agitant désespérément
au bout de sa corde. Triboulet jouait le diable et sortait des enfers entouré
d’un cuisant brasier. Son habit de Lucifer prit feu et cet acteur qui, dans la
vie, était tout feu tout flamme, mourut en brûlant les planches. Leur épitaphe,
si elle peut engendrer la bonne humeur n’est pas d’une extrême
délicatesse :
Males morts
te puissent avorter,
Paillards,
fils de putain cognus.
Pour à mal
faire t’enhorter,
L’un s’est
tout brûlé le cul,
L’autre à la
potence accrochié
Par le col
s’est bien
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