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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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être sage selon ce siècle, qu’il devienne fou afin de devenir sage, car
la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu.
     
    J’étais maintenant à bonne école avec mon roi qui, sans le
savoir, m’avait enseigné l’art de dissimuler. Sur tout ce qui touchait la
religion, il fallait être de plus en plus mesuré dans ses propos et ne pas
colporter des idées ou des interrogations pouvant heurter ou mettre en doute la
croyance en Dieu. Malheur à celle ou à celui qui tombait entre les mailles d’un
tribunal du Saint-Office nommé plus couramment tribunal de l’inquisition dont
la fonction était d’assurer la rédemption des âmes des chrétiens déchus !
    Ces tribunaux créés par le fanatique et cruel inquisiteur
général d’Espagne Tomás de Torquemada commençaient à se développer grandement
sur notre territoire. Ils abusaient souvent de leur pouvoir et sous le couvert
d’accusations d’hérésie ou de sorcellerie, on torturait, brûlait, écartelait,
arrachait les ongles, brisait les membres à tout-va pour extirper le diable
afin que les accusés puissent retrouver le chemin de Dieu. Il suffisait de
dénombrer les cardinaux, archevêques, prélats, tous richement vêtus, qui
gravitaient autour du roi pour se dire que Dieu était source de revenus et que
les offenser pouvait conduire tout droit à l’estrapade sur le chevalet d’un
inquisiteur bienveillant.
    Comment mon roi, prince parfait, loyal par nature, qui
disait ne jamais abuser de son pouvoir et ne rien usurper sur autrui,
tolérait-il ces pratiques ? Je ne manquais pas de lui poser la question à
laquelle il ne répondit jamais.
    Les ambassadeurs de tous les pays voisins se succédaient de
semaine en semaine, nous apportant des nouvelles plus ou moins bonnes. C’est
ainsi que l’on apprit par les ambassadeurs du roi d’Aragon avec qui Louis
venait de s’allier pour reconquérir le royaume de Naples que le marin génois,
qui pensait rallier l’Asie par l’ouest et qui, neuf ans plus tôt, avait accosté
sur un rivage inconnu découvrant de nouveaux territoires après avoir traversé
la mer océane avec trois caravelles, était revenu en Espagne, certain que l’on
allait le couvrir de gloire. Sa récompense fut de croupir dans un cachot d’une
prison de Castille.
    J’écoutais ses récits avec avidité et, comme mon roi se
tournait vers moi, il fallait bien que je « fisse mon office » de
bouffon. Fruit d’un travail ardu, je donnais la primeur d’une invention que
j’avais baptisée « ventriloquus » qui allait asseoir ma réputation
dans toutes les cours d’Europe. J’agitais ma tête faisant sonner tous mes
grelots et, sans remuer les lèvres, juste la bouche à peine entrouverte, avec
un sourire niais, je faisais entendre une voix de fausset qui sortait de mon
ventre et semblait venir de ma marotte que je brandissais devant ma
figure :
     
    Au pays de
l’Aragon
    Il y avait
messire Colomb
    Qui croyait à
la terre ronde
    Et à un
nouveau monde.
    Il avait une
ambition
    À la hauteur
de ses visions.
    Après sa
découverte nouvelle
    Il revint
avec ses caravelles
    Pour recevoir
sa récompense :
    Honni soit
qui mal y pense !
    Le roi lui
dit son ingratitude,
    La reine
feignit la lassitude
    Et l’homme
qui savait qu’un œuf
    Pouvait se
tenir debout,
    Il en fit la
preuve par “n’œuf”,
    Se retrouva
au fond d’un trou
    Où il se
recroqueville
    Au pays de la
Castille.
     
    Ce grand voyageur qui maîtrisait parfaitement la
cosmographie et les mathématiques avait, pour le souverain d’Aragon et de
Castille, des visions d’empire nouveau telles qu’aucun monarque n’en avait
jamais rêvé. Toute sa science, sa passion et ses ambitions pour un pays qui
n’était même pas le sien n’avaient jamais altéré sa modestie et sa simplicité.
Il se plaisait à dire que « la plupart des choses sont faciles quand on
vous montre le chemin et qu’il suffisait d’y penser ».
    La punition était sévère pour celui qui avait voulu faire
évoluer le monde, sans se contenter des acquis de connaissances et désireux
d’aller plus avant. C’est souvent le lot de ceux qui, sans espoir de gain,
veulent améliorer la vie des autres.
    1501 fut aussi l’année où Pierre Gringore entra en lice, il
était en charge de tous les spectacles joués sur la place publique, mystères,
farces et soties. Il était également le grand ordonnateur des entrées
parisiennes de notre roi quand il revenait triomphant de ses

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