Le bouffon des rois
héritier présomptif François d’Angoulême. Je n’ignore pas que sa mère
n’attend que mon trépas pour hisser son fils sur mon trône, mais je le juge
encore très confortable pour mon auguste postérieur et je trouve qu’il est un
peu tôt pour que je laisse la place. Néanmoins, marier ma petite Claude au
bouillant François ne me déplaît pas et je préférerais cent fois cette union à
un mariage avec l’Autrichien. »
Je laissai tomber maladroitement ma marotte qui grelotta et
lui rappela ma présence, il se tourna brusquement vers moi :
« Regardez-le, tapi dans son coin avec les oreilles
plus dressées que celles de Chailly et Herbault ! Que penses-tu de ce que
tu viens d’ouïr, et réponds-moi sans aboyer ? » Georges d’Amboise
semblait pour une fois prendre un intérêt à ma réponse.
« Je pense, Beau Sire, que tu es sage et que moi je
suis fou, chacun est à sa place et d’après ce que j’ai entendu, tu n’es pas
près de prendre la mienne ! »
Cela parut les satisfaire puisqu’ils partirent d’un rire
simultané interrompu par l’arrivée de la reine. On ne pouvait ignorer sa venue
tant elle s’annonçait par un brouhaha dû aux innombrables personnes qui se
déplaçaient à sa suite. C’était une véritable cour à l’intérieur de la
Cour : cinquante-neuf dames d’honneur et quarante et une demoiselles, deux
femmes de chambre, un maître d’hôtel, un grand écuyer, un trésorier particulier
et une centaine de gentilshommes tous bretons commandés par Pierre de Maillé à
la tête aussi dure que les cromlechs de sa Bretagne natale.
Anne attaqua d’emblée le roi et son conseiller en les
interrogeant d’un ton sec qui ne souffrait aucune réticence :
« Avez-vous réfléchi à l’union de ma fille et de l’archiduc ? »
Louis prit pourtant le temps de regarder Georges d’Amboise
avant de lui répondre :
« Madame, nous étions une fois de plus au cœur de ce
sujet quand vous êtes arrivée. Je vous l’ai maintes fois répété, le mariage que
vous projetez ne peut se faire dans la hâte et demande moult réflexions. Il
faut bien sûr songer au royaume de France mais également au bonheur de Claude.
— Vraiment ! À vous entendre, on croirait que
toutes les mères conspirent au malheur de leurs filles !
— Sachez, Madame, qu’à la création du monde, Dieu
avoit donné des cornes aux biches aussy bien qu’aux cerfs ; mais que,
comme elles se virent un si beau boys sur la teste, elles entreprindrent
de leur faire la loy ; dont le souverain créateur étant indigné, leur osta
cet ornement, pour les punir de leur arrogance. »
La réponse de mon roi fut prononcée d’un trait et d’une
manière cinglante qui ne pouvait que clore la discussion. Pourtant, la Bretonne
ne cacha pas sa rage pour avoir le dernier mot :
« Sachez, Sire, que moi vivante, jamais ma fille
n’épousera ce Valois ! »
Elle tourna les talons pour aller s’enfermer dans ses
appartements, accompagnée de toute sa cour qui s’éloigna dans un bourdonnement
de mauvaise humeur lequel mit un long moment à disparaître. Dans le silence
pesant qui lui succéda, le roi et son conseiller songeaient tous deux à une
parade prochaine, sachant que la reine Anne reviendrait bientôt à la charge et
n’abandonnerait jamais son dessein. J’osais le rompre en susurrant à
peine :
Beau Sire,
Il te faudra
Sans coup
férir
Gagner ce combat
Si tu veux
François
Comme futur
roi.
Quant à moi, je réfléchissais à ce qui pouvait faire naître
une telle hostilité proche de la haine pour ce petit homme d’à peine cinq ans,
pour sa mère, pour son précepteur et pour moi aussi d’ailleurs car je ne faisais
pas tache dans le « quatuor détesté de la reine Anne ». Je craignais
cette femme sujette à des accès d’humeur qui la menaient à se venger d’une
odieuse manière quitte à s’en repentir plus tard en se confessant humblement,
consciente de son caractère vindicatif. J’eus tout de suite l’instinct de
protéger cet enfant qui me bouleversait à chacune de nos rencontres. Quand il
m’apercevait au détour d’un couloir, agile et rapide comme un félin, il
échappait à son précepteur et à ses gardes pour se jeter dans mes bras et se
serrer contre moi. Les autres enfants que j’avais pu croiser ne me
manifestaient pas le même élan. Les parents, les nourrices ou les précepteurs
devaient me décrire comme un personnage ridicule dont on
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