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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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se gausse ou comme une
sorte de père fouettard, ultime et effrayante punition garantissant une prompte
obéissance :
    « Si tu n’es pas sage, Triboulet va venir te
chercher ! »
    La sincère affection que me portait le petit François
d’Angoulême et que je lui rendais tout autant me fit prendre peur pour sa vie.
Il n’y avait pas si longtemps quiétude et loyauté semblaient le mieux définir
l’ambiance de la cour royale mais l’appétence du pouvoir et de l’argent avait
gangrené l’atmosphère, et laissé s’installer hypocrisie, cachotteries,
supercheries, veuleries et courtisaneries.
    Je fis part de mes craintes au maréchal de Gié que je savais
méfiant à l’égard de sa reine et qui promit de ne jamais relâcher sa
surveillance. Il n’était pas le seul à être sur ses gardes : Louise de
Savoie faisait goûter à ses serviteurs chaque mets préparé dans les cuisines
avant que son César s’en nourrisse de bon appétit. Parfois, elle surveillait la
cuisson des plats et les apportait elle-même à son fils dont les yeux
débordaient d’amour et de reconnaissance pour une telle adoration maternelle.
    Je l’approuvais entièrement et ne mangeais rien que le roi
eût déjà goûté ou quelqu’un d’autre avant moi. J’observais le même rite pour
les boissons, même si je ne buvais pas de vin, ou très rarement ; en
effet, les vins que l’on m’avait présentés me tournaient fort la tête. Je me
souviens qu’une fois au cours d’une fête royale, j’avais fait mon office de
bouffon en état d’ébriété, ayant un tantinet abusé d’un clairet d’Anjou. Je ne
contrôlais plus mes paroles ni mes gestes mais il paraît que je fus désopilant
bien que je ne fusse plus maître de mes facultés. Je n’ai plus jamais cédé à
cette tentation de la facilité, étant tout aussi inventif et efficace sans
avoir bu une goutte de vin. Je ne pouvais rester en exercice qu’avec la pleine
possession de mes moyens. Je n’allais pas risquer ma place pour un mot de
travers ou un geste déplacé et finir comme mes prédécesseurs, exilés ou
enfermés dans quelque sombre cachot à cause d’un breuvage avalé sans
modération. Même épuisé, vidé de toutes substances, il fallait que je sois en
perpétuelle création de railleries, de bons mots, de justes réflexions, sans
cesser d’être distrayant. Je ne devais jamais oublier que mon pouvoir n’était
qu’une illusion de pouvoir, un ersatz de puissance que l’on m’accordait au jour
le jour et qui pouvait m’être ôté à tout moment.
    L’eau était donc ma source permanente mais je ne dédaignais
pas le jus un peu pétillant que l’on obtenait en pressant des pommes. J’avais,
comme partout dans le château, mes entrées dans les vastes cuisines qui, jour
et nuit, étaient en effervescence. Quand ce n’était pas souper de gala,
c’étaient repas d’ambassadeurs, collations pour le roi, la reine, les dames
d’honneur, les messieurs du Conseil, la domesticité, la pâtée des chiens, les
coupelles de morceaux choisis de viande fraîche pour ce bec fin de Muguet.
    C’est un lieu où j’aimais traîner mes chausses en
grappillant çà et là quelques friandises. Je garde en mémoire le mouvement
incessant des marmitons, les vociférations des maîtres-queux et cette odeur
grisante du mélange des arômes. Ma bouche n’a jamais perdu la saveur de cette
miche de pain à la croûte craquante mordorée entourant une tendre mie tiède et
de cette crème fraîche et onctueuse dans laquelle je plongeais ma main pour en
étaler le contenu sur la tranche de pain avant de mordre dedans avec
gourmandise. Je n’oubliais jamais ensuite de me lécher les doigts avec délice
pour prolonger ce moment de totale volupté.
    Puisque je te parle de volupté, ce soir-là, mon roi en fut
privé. La porte de la reine Anne restait irrémédiablement close. Son roi
l’avait contrariée, donc pas question d’aller la rejoindre sur sa couche et de
l’honorer de la semence même si celle-ci avait été « potionnée »
spécialement par les médecins empiriques pour procréer un mâle régnant. Après
avoir insisté une bonne heure en tambourinant et en suppliant, il se résolut à
regagner ses appartements, congédia les derniers courtisans sur le seuil de sa
chambre, renvoya ses laquais et sa garde rapprochée et me pria de rester avec
lui. Il décrocha un flambeau de son socle mural et me fit signe de le suivre.
    Nous allâmes dans la salle

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