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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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pour
l’Église, non pour moi-même, et je me servirai de l’art et du glaive pour la
gloire de la foi. »
    Au début de la cinquième année du XVI e  siècle,
le 4 février pour être plus précis, on vient annoncer à mon roi la mort de
sa première épouse, Jeanne de France, à l’âge de quarante ans. Depuis
l’annulation de leur mariage, elle s’était retirée à Bourges, la capitale de
son duché de Berry que lui avait généreusement accordé Louis XII avec une
pension plus qu’honorable. Elle soignait les malades et avait fondé quatre ans
plus tôt l’ordre de l’Annonciade. Louis fut bouleversé en apprenant sa
disparition et lui fit l’honneur de grandes funérailles. Anne resta impassible,
ne se permettant aucun commentaire sur un passé qu’elle avait rangé tout au
fond de sa mémoire et que pas une personne de son entourage ne songeait à lui
rappeler.
    Un soir, après avoir congédié courtisans et serviteurs, je
m’apprêtai à sortir. Mon roi me pria de rester avec lui. Il était bien tard
pour trouver une facétie nouvelle à cette heure tardive mais, heureusement, il
m’arrêta dans ma recherche infructueuse. Il s’assit sur le bord de son large
lit.
    « Ôte ta coiffe, pose ta marotte et viens t’asseoir
près de moi. »
    Je lui désobéis en m’asseyant en tailleur à ses pieds, bien
que cette position me soit douloureuse et inconfortable. Il ne sembla pas m’en
tenir rigueur et se mit à parler si doucement que je dus me rapprocher jusqu’à
le toucher pour entendre ses paroles :
    « La maladie ronge mon corps. Je perds mes dents, je
peux à peine m’asseoir tant mon royal postérieur me fait atrocement souffrir.
Il n’y a que sur un cheval que j’ai loisir d’écraser mes hémorroïdes. C’est
pitié de voir que le corps ne garde pas la même vivacité que l’esprit et je
suis conscient de tomber doucement en décrépitude. Au début de mon règne, j’ai
pensé un moment que je pouvais être immortel. Naïveté de roi, ivresse du pouvoir !
Les potions qu’on me fait avaler me tordent le ventre et je passe plus de temps
à vomir qu’à manger. Dieu doit me faire payer les mauvaises actions de ma
jeunesse. J’éprouve un remords éternel que j’ai toujours caché à mes
confesseurs. Dieu était le seul à savoir mais je voudrais aussi te le confier à
toi, Triboulet. Vous serez ainsi les deux seuls au courant. Si, ce soir, je
ressens le besoin d’ouvrir mon cœur, c’est que je sais que ma maladie est un
clair avertissement pour que je n’oublie pas que la mort se tient prête à faire
son office. Mon amour de la beauté est légendaire et l’on s’étonne que je
supporte depuis tant d’années ta laideur et ta difformité. Tu as beau les
mettre en évidence et t’en servir comme d’une carapace inaltérable, tu ne peux
les faire oublier.
    « Tu es l’ange gardien de ma mauvaise conscience.
Jeanne vient de mourir. C’était ma première épouse, elle était mal conformée,
tout comme toi. Je l’ai tellement mal traitée. Il y a des actions que je
voudrais n’avoir jamais commises, des paroles que je voudrais n’avoir jamais
prononcées. Même mon pouvoir de roi n’effacera jamais mes actes les plus
répréhensibles et si, autour de moi, on feint de ne plus s’en souvenir, le
remords ne cesse de me ronger l’âme.
    « Pour obtenir l’annulation de mon premier mariage,
j’ai menti, calomnié et j’ai fait honteusement souffrir une femme pour arriver
à mes fins et en épouser une autre. Jeanne avait pour moi une véritable
adoration qui ne méritait sûrement pas une telle veulerie.
    « J’ai été jusqu’à jurer devant un tribunal que notre
mariage n’avait jamais été consommé alors que je m’étais vanté lors de soirs de
beuverie de l’avoir chevauchée quatre fois et que, rien que pour cela, j’avais
bien mérité de me saouler. Elle était consciente de ne pas être gâtée par la
nature mais elle souffrait surtout de la répulsion qu’elle m’inspirait. Je me
plaisais à l’humilier en lui vantant mes exploits amoureux avec de belles
femmes pour avoir le plaisir de la voir pleurer. Je suis allé jusqu’à amener
dans le lit conjugal des femmes de mauvaise vie pour me motiver. J’ai poussé
l’ingratitude jusqu’à ne pas me souvenir qu’elle m’avait soigné mieux que ne
l’aurait fait aucun médecin quand j’ai été fort malade durant mes trois ans de
prison où elle était intervenue sans relâche auprès de

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