Le bouffon des rois
éructer, gargouiller et se mettra à tourner en rond comme un coq ivre au
milieu de sa basse-cour en folie. Te voir une fois par année suffit amplement à
mon rassasiement. »
L’automne vient à peine d’étaler la flamme de ses couleurs
qu’elle ravive celle d’Anne qui voit l’apogée de sa vie : d’abord le
traité de Blois, signé le 22 septembre, aboutit à une alliance avec
l’Autriche et un triple accord entre Maximilien, Philippe et Louis. Les trois
s’allient secrètement contre les Vénitiens, profitant de la mort soudaine du
pape Alexandre VI Borgia survenue au mois d’août et, suprême victoire
d’Anne de Bretagne, Louis promet sa fille Claude au futur Charles Quint.
Je ne manquai pas de dire à Louis ce que j’en pensais :
Ce qui te
préoccupe
Me semble
bien être
Un traité de
dupes
Signé par des
traîtres
Voulant te
compromettre.
Dans tout
cela tu t’empêtres
Et n’es plus
ton propre maître.
Connaissant la versatilité de l’empereur Maximilien, de son
fils Philippe et de mon roi, je me rassurai tant bien que mal en espérant que
ce traité ne fût qu’une mascarade.
Le mois d’octobre continua en fanfare pour la reine de
France puisque ce fut la comparution de Pierre de Gié devant le Grand Conseil.
Antoine Duprat, qui avait participé à l’instruction, siégeait au tribunal, ce
qui était contraire à la loi, mais comme personne ne souleva cette illégalité,
la justice put suivre son cours. Durant huit jours, le maréchal répondra sans
hausser le ton à toutes les accusations, nullement ébranlé par tous ces
magistrats dressés devant lui et bien décidés à le perdre. Sans laisser percer
le moindre signe de colère indignée, il réfuta avec un calme impressionnant
tous les chefs d’accusation, mettant ainsi ses juges dans un embarras profond.
Les témoins présents furent désarçonnés devant sa fière allure et leurs griefs
manquèrent de crédibilité. Pontbriand, rongé par la honte, se rétracta avec une
courageuse lâcheté, et Louise de Savoie revint sur certaines affirmations de sa
première déposition. Elle tenta néanmoins de l’accabler de reproches et le
menaça même de la colère divine. Avec une impassibilité qui laissa
transparaître une douce mélancolie, il lui répondit tout simplement :
« Si j’avais servi Dieu comme je vous ai servie,
Madame, je n’aurais pas grand compte à lui rendre !… »
Les juges étaient plongés dans une immense perplexité, même
après le véhément réquisitoire du procureur qui ira jusqu’à comparer Pierre de
Rohan à « un pourceau qui s’engraisse tellement des glands d’un chêne
qu’il finit par déra c iner l’arbre qui l’a nourri ». Il énuméra
tous les arguments amassés depuis l’instruction qui semblaient prouver que le
maréchal n’avait que « pensée mauvaise contre la couronne de France »
et demanda qu’on l’emprisonnât séance tenante « sans avoir égard à sa
dignité de chevalier ». Il le traita de parjure, d’infâme et exigea
qu’il fût soumis à la torture pour avouer ses crimes avant d’avoir la tête
tranchée, ses biens confisqués et ses enfants déclarés infâmes et incapables
d’hériter.
Devant des preuves pratiquement inexistantes, les magistrats
n’eurent qu’une possibilité : prendre la décision de rendre sa liberté à
Gié et l’ajourner à comparaître le 1 er avril prochain afin de
présenter sa défense.
La reine fut loin d’être satisfaite de cette ordonnance du
tribunal et promit que le félon ne perdait rien pour attendre. Pour l’heure,
les préparatifs de son sacre l’occupaient totalement.
Le 18 novembre, tout comme cela s’était déjà passé lors
de son premier mariage, Anne se rend à l’abbaye de Saint-Denis pour y prendre
la couronne des mains de son vieux complice le cardinal Georges d’Amboise.
Toute la cour est présente, bien entendu, grands princes du royaume, gentilshommes
du roi et grande baronnie de France et de Bretagne. Mon roi est aux anges de
voir son épouse ainsi comblée. Je le suivais telle son ombre et j’avais pu
entendre ce qu’elle lui avait murmuré à l’oreille avant d’aller s’agenouiller
aux pieds du cardinal :
« Je suis un autre tel que vous. »
Tout un programme ! Et mon roi souriait béatement
pendant que Georges d’Amboise glissait « l’aneau sponsal » au
doigt d’Anne en lui énumérant ses devoirs de reine :
Pour bien
régner,
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