Le bouffon des rois
pas que cette femme est fine et caute. Elle
ne cherche qu’à t’attirer à elle afin que tu l’engrosses et si elle vient à
avoir un fils, le voilà dauphin et futur roi de France et toi, te voilà encore simple
comte d’Angoulême sans le moindre espoir d’accéder au trône.
Songes-y ! »
Ne faisant aucune confiance à son fils, encore moins à
Marie, Louise fit appliquer la coutume qui veut que l’on séquestre les veuves
royales durant quarante jours. Pendant plus de deux mois la reine avait reçu
les faveurs (le mot est rude !) de mon défunt roi, il l’avait donc
chevauchée au moins une bonne trentaine de fois et si les potions revigorantes
avaient rempli leur office, la semence royale pouvait bien avoir engendré un
dauphin posthume.
Les quarante jours d’attente furent très pénibles, d’abord
pour la reine Marie qui était en claustration dans sa chambre, fenêtres et
volets fermés, à la seule lueur des chandelles, ensuite pour toute la cour de
France dont les rumeurs allaient bon train.
Il faut dire que je prenais un malin plaisir à les alimenter
en semant par-ci par-là un proverbe du genre :
« Jamais femme habile ne mourut sans
héritiers ! »
Pour plus de sûreté, Louise de Savoie fit surveiller jour et
nuit la princesse par une escouade de dames d’honneur dirigées en alternance
par Madame d’Aumont et par Madame de Nevers qui avaient l’ordre formel de ne
laisser approcher aucune personne du sexe masculin, que ce soit son fils, le
duc de Suffolk ou même un quelconque soldat.
Celle qu’on disait plus folle que reine devint vraiment
folle au point de faire courir le bruit de sa grossesse, s’enflant le ventre
avec des linges et imaginant qu’elle pourrait acheter l’enfant d’une femme
grosse qui lui serait fourni dans le temps du prétendu accouchement. Louise
n’était pas femme à se laisser duper aussi facilement. Elle envoya une
délégation de sages-femmes pour la visiter. La supercherie fut découverte et il
y eut grand soulagement à la cour. François, qui ne pouvait se faire sacrer roi
avant d’être certain que la reine ne fût point enceinte, brava les interdits de
sa mère, pénétra dans la chambre de Marie et lui demanda si le temps était venu
pour lui de porter la couronne de France. Marie n’eut d’autre choix que de lui
répondre :
« Sire, je ne connais point d’autre roi que
vous ! »
À dix-neuf ans, la sœur du roi d’Angleterre et veuve du roi
de France était donc un parti intéressant et Henry VIII, qui avait déjà
envisagé de la marier à Charles de Gand, retenterait bien cette alliance
prometteuse mais il voudrait voir revenir sa chère sœur avec les nombreux
bijoux que lui avait offerts Louis XII. François n’était pas de cet avis
et il écrivit à Henry :
« Les reines de France ne sont que les dépositaires des
bijoux de la Couronne qui doivent se transmettre de l’une à l’autre. Une veuve
peut à la rigueur les conserver jusqu’à sa mort, à titre de douaire, si elle
reste en France, mais elle ne saurait les emporter dans son pays d’origine,
encore moins en disposer à sa guise. »
Henry lui répondit que les joyaux offerts étaient des
cadeaux personnels et qu’il serait malvenu de les lui reprendre. J’agitai mes
grelots :
« Donner, c’est donner et reprendre, c’est voler !
Mais prêter c’est prêter et ne pas rendre, c’est voler ! » François,
toujours sous le charme de la belle Anglaise, songea un instant à répudier
Claude, enceinte de sept mois, et à prendre pour épouse sa veuve de belle-mère.
J’avais entendu la reine Anne pousser les hauts cris, mais ce n’étaient que
pépiements à côté des beuglements furieux de Louise de Savoie quand elle apprit
ce projet insensé.
Heureusement, Marie n’avait qu’une idée en tête :
épouser le duc de Suffolk. François, revenant à la raison, vit alors le parti
qu’il pourrait en tirer dans ses négociations avec la couronne d’Angleterre. Il
promit d’aider les deux amants, mais le plus urgent fut d’aller se faire sacrer
à Reims. Ce fut fait le 25 janvier 1515 et, le 13 février, le roi de
France, François premier du nom, entra solennellement dans Paris.
Marie et Suffolk étaient présents, attendant avec impatience
l’agrément qui leur permettrait de convoler en de justes noces. François,
désirant garder alliance et amitié avec son « frère anglais », usa
d’une brillante diplomatie à la
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