Le bouffon des rois
chroniques de guerre, des livres de chasse et des exploits
des Chevaliers de la Table ronde allait rapidement être surnommé Le père des
arts et des lettres, et s’entourer aussitôt d’érudits et de savants trop
souvent absents de la cour précédente.
« Triboulet, je remarque que ta gaieté ne semble plus
entachée d’aucune mélancolie ! me disait mon second roi.
— Sire, vous êtes heureux puisque vous êtes le roi et
moi je suis heureux comme un bossu ! »
Je trouvais une nouvelle raison d’exister dans l’observation
minutieuse des moindres faits et gestes de mon maître qui ne cessait à chaque
instant de forcer mon admiration. Rien ne m’échappait. Il me fallait garder
juste assez de discernement et d’opportunisme pour me mettre en valeur au
moment propice. Grâce à « mon cousin » je prenais une place parmi les
grands du royaume que je n’aurais pas échangée pour une couronne ducale, voire
une mitre épiscopale. Je les coiffais à ma guise et je pouvais alors singer à
volonté les têtes qui les portaient. Je me permis même un jour de mettre sur ma
tête la couronne royale. L’entourage du roi se précipita vivement pour me
l’ôter, dans l’expectative d’une punition certaine et exemplaire pour ce geste
sacrilège. « Mon cousin » se contenta de dire avec un large
sourire :
« Laissez-le me désacraliser ! Cela est loin de me
déplaire. »
Louis m’avait déjà approuvé sur ce terrain-là et je savais que
ce souhait royal était le sauf-conduit de ma totale liberté d’expression.
Il n’en fut pas de même pour le théâtre, la farce en
particulier avec son art unique de caricaturer la vérité sous le solide
bouclier du rire. Il fut décidé que la farce n’aurait plus aucun droit de cité.
Où le père du peuple s’était amusé le père des lettres se fâcha
et sévit avec grande violence. Au mois d’avril, après tout juste quatre mois de
règne, François I er fait fustiger et presque mettre à mort par
ses gentilshommes un pauvre diable de farceur nommé maître Cruche qui, avec sa
lanterne magique, s’était moqué de lui et de ses amours extraconjugales.
L’année suivante, il fait emprisonner à Amboise trois joueurs de farce pour les
mêmes raisons. Pierre Gringore, qui s’était à présent transformé en écrivain
politique, se voit retirer son droit d’écrire après qu’une sotie non signée de
sa main, mais qui rappelait trop son style, eut remporté un scandaleux succès.
Satire féroce truffée de malices et d’allusions contre un prince nommé
Bontemps, appelé aussi Monsieur de Savoie (avait-il une mère qui s’appelait
Louise ?), que l’on croit mort. Mère Folie en deuil avec ses enfants
pleurent sur le passé joyeux et se plaignent de ce qui l’a remplacé. Mais
puisque Bontemps n’est pas mort, on l’invite à revenir, mais qu’il ne se presse
point, sachant ce qu’il va retrouver à son retour : un monde sans farce,
où les promesses de bonne justice et de liberté étaient oubliées.
Le seigneur
de Joye
Joyeuseté
faire convient
En ces jours gras,
c’est l’ordinaire.
Quel dommage de refuser ce moyen d’expression qui constitue
même dans ses excès un défouloir indispensable, une sorte de désordre éphémère
qui garantit l’ordre permanent. Gringore, craignant pour sa vie, disparaîtra
sans demander son reste. Il trouvera refuge chez le duc de Lorraine et changera
même de nom. C’est ainsi qu’un certain Vaudemont pondit quelques écrits dont le
style et la causticité rappelaient trait pour trait les soties de maître Pierre
Gringore.
Quand « mon cousin » me demanda ce que je pensais
du début de son règne, je lui fis bien sûr maints compliments flatteurs qui
étaient le sincère reflet de ma pensée mais je ne pus m’empêcher de lui
reprocher sa dureté envers les farceurs et leurs soties ainsi qu’une certaine
ingratitude envers son beau-père qui avait tant fait pour qu’il se retrouvât
sur le trône de France et qui méritait mieux que l’enterrement célébré sans la
pompe habituelle.
Il ordonna sur-le-champ qu’on élève un tombeau monumental et
extraordinaire représentant Louis XII et Anne de Bretagne, en orant au
niveau haut et en transi au niveau bas. Quant au premier reproche, il me
déclara :
« Tu te permets assez d’insolence sans que j’en puisse
tolérer d’autres que je ne pourrais contrôler ! »
Le peuple français n’a jamais été
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