Le bouffon des rois
d’Église et officiers
royaux qui en étaient jusque-là exemptés. Tous les allègements que
Louis XII avait « imposés » ou plutôt « désimposés »
se transformaient en impôts écrasants réhabilités par Madame, qui, sans en être
aucunement perturbée, acceptait l’impopularité.
Léonard de Vinci était arrivé en France depuis quelque temps
pour s’installer confortablement dans ce petit manoir de briques roses et de
pierres grises, orné de tours pointues et avec une vue magnifique sur le
château d’Amboise situé à deux pas. Léonard s’y trouvait tellement bien que
cette demeure devint vite un haut lieu de rencontres et d’échanges dont le maestro était le personnage central.
Mon beau roi et moi-même allions souvent le visiter.
François ne manquait jamais de s’attarder longuement en contemplation devant le
portrait vivant de cette femme mystérieuse au sourire énigmatique, notre Mona
Lisa, qu’il n’avait pas eu la cruauté d’enlever au peintre. Celui-ci
s’inclinait pour saluer Sa Majesté qui le relevait aussitôt pour le serrer dans
ses bras.
Ce beau jour de fin d’été, la même scène se reproduisit avec
une variante de taille : en relevant son « créateur de génie »,
comme il aimait à le nommer, il ne s’attarda pas sur le portrait de la belle
Italienne, mais il se figea littéralement devant la jeune et fine créature qui
venait d’entrer dans la pièce auréolée d’un éclatant soleil en
contre-jour : c’était une splendide jeune femme brune assez grande, à la
taille mince et souple, aux yeux pleins de feu et de douceur. François la salua
avec grâce, salut qu’elle lui rendit par une légère révérence de princesse sans
rien répondre. Je connaissais bien « mon cousin », je savais qu’il
était sous le charme et je dois t’avouer que je l’étais également. Nous nous
demandions qui elle pouvait bien être. Nous connaissions notre cour sur le bout
des doigts et il n’était pas un courtisan, encore moins une femme dont nous ne
sachions leur famille, leurs charges, leur caractère, leurs surnoms, leurs espérances
et même jusqu’au nom de leurs amants ou maîtresses passés et présents.
Elle devait être fraîchement débarquée de sa province, car
son beau visage ovale sans défaut était ambré et rose de sa couleur naturelle,
ses cheveux noirs étaient soigneusement nattés et tirés sous un chaperon de
velours orné de perles et sa robe était de belle facture quoique un tantinet
démodée.
Léonard de Vinci ne tarda pas à la présenter au roi :
« Ver grazia, maesta, Donna Francesca, contessa di
Châteaubriant. »
« Mon cousin » et moi-même comprîmes immédiatement
que cette rencontre n’était pas le fruit du hasard mais l’aboutissement d’un
habile complot. Il y a quelque temps, l’amiral de Bonnivet, aussi bavard qu’il
était laid, faisait sa cour au roi en lui vantant les mérites et l’éblouissante
splendeur de la fille de Phébus de Foix mariée à Jean de Laval-Montmorency,
seigneur de Châteaubriant. Le portrait tracé était si flatteur qu’il ordonna
qu’on la fît venir jusqu’à lui. Je l’entendis même dire :
« Je ne l’ai point encore vue, mais je la
veux ! »
La volonté d’un monarque n’a pas toujours raison de tout.
Jaloux comme tous les tigres du monde réunis, Monsieur de Châteaubriant n’était
pas du genre à partager sa moitié même avec le roi. Il la tenait enfermée dans
sa forteresse de Châteaubriant et lui interdisait de se rendre à la cour. Il
avait imaginé un stratagème ingénieux pour que son épouse ne quittât pas son
château breton même si on venait la prier de se rendre auprès du roi en son
nom.
« Si je tiens à vous voir près de moi à la cour, je
joindrai à ma lettre la bague que voici dont je vous laisse le double
fidèle. »
Docile, Françoise jura de lui obéir et s’empressa de mettre
le bijou en lieu sûr. Jean de Laval se croyait donc à l’abri de tout danger.
Hélas pour lui, heureusement pour mon roi, une imprudence due au bavardage d’un
valet subtil et cupide fit s’écrouler le rempart dressé pour abriter la vertu.
Bonnivet fit exécuter une copie de la bague après l’avoir
fait discrètement subtiliser par le valet, avec ordre de la remettre à sa place
dès l’opération effectuée. Il n’avait plus qu’à prier Jean de Laval de venir à
la cour. Celui-ci s’y rendit seul bien entendu, persuadé de jouer un bon
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