Le bouffon des rois
filles ! »
« Mon cousin » retrouva les bras de sa favorite
qui l’accaparait plus que de raison sous les regards courroucés du mari qui
claironnait à qui voulait l’entendre que la vengeance était un plat qui se
mangeait froid et que sa patience dans ce domaine égalait sa colère. Le
chancelier et le connétable avaient pris toutes les précautions pour le
surveiller en permanence et exhortaient le roi à l’éloigner le plus possible de
la cour pour sa sécurité. J’avais un peu plus de temps libre et j’en profitais
pour me délasser dans la lecture d’ouvrages empruntés à la magnifique
bibliothèque admirablement fournie qui occupait toute une immense salle du
château.
Je n’eus même plus besoin de m’y rendre car un matin, on
m’apporta deux colis qui m’étaient destinés. L’un venait d’Érasme qui ne
m’avait pas oublié. Il me faisait parvenir un exemplaire de L’Utopie, l’œuvre
de son ami Thomas More. À l’intérieur, il me joignait une lettre écrite dans le
plus pur latin m’assurant que j’allais recevoir sous peu son Éloge de la
folie.
L’autre colis venait de Machiavel qui, lui aussi, tenait
parole. Il m’envoyait une des premières éditions du Prince dans une
reliure magnifique avec ces mots écrits de sa propre main : « À
Triboulet, le prince des bouffons. Votre dévoué Niccolo Machiavelli. »
Mais bientôt un secret que la comtesse de Châteaubriant
avait supplié au roi de taire fit son chemin dans les rumeurs de la cour :
la maîtresse du roi était battue par son jaloux de mari.
Bien des fois, depuis le soir où elle s’était donnée,
François avait vu le beau corps de sa maîtresse marbré des coups que lui
portait son violent époux. Elle l’avait toujours excusé, s’accusant de mériter
pis et défendant qu’on soufflât mot de ces brutalités. Le roi avait beau
couvrir de biens et d’honneurs le comte de Châteaubriant, rien n’arrêtait sa
furie. Il prenait tout ce que le roi lui donnait mais continuait ses
déchaînements de mari outragé. Il menaçait même de tuer sa femme.
J’assistai alors à une scène épique entre François I er et sa mère :
« Madame, je vous prie en grâce de prendre Madame de
Châteaubriant parmi vos dames d’honneur.
— Mon fils, comment osez-vous ? Jamais !
Épargnez-moi le spectacle de vos débordements. Je ne supporterai pas la
présence de cette femme ! Dame d’honneur ! Et puis quoi
encore !… Où loge-t-elle son honneur ?
— Madame, je l’aime ; elle sera déclarée et vivra
à ma cour.
— Ne me rebattez pas les oreilles avec ces femelles.
Vous l’avez peut-être oublié mais je vous rappelle que vous êtes marié, que
votre épouse a droit à un minimum de respect et qu’elle n’a toujours pas été
sacrée reine. »
François I er , s’il n’était pas respectueux
du serment de fidélité fait à son épouse, la vénérait sincèrement : il
n’ôtait d’ailleurs son chapeau que devant la Vierge, la reine et Madame. Il
ordonna lui-même aussitôt la cérémonie du sacre et l’entrée solennelle dans la
capitale.
Le 12 mai 1517, la fragile souveraine, qui venait
d’avoir dix-huit ans, fut sacrée reine de France à Notre-Dame. Elle émut aux
larmes les Parisiens par sa simplicité, par la bonté qui se lisait sur son
visage et surtout par sa disgrâce de corps :
« Dieu donne longue vie à notre reine ! Dieu lui
envoie un beau fils ! » criait-on d’une voix fervente.
Quant à « mon cousin », éblouissant sur son grand
cheval caparaçonné d’or, il était acclamé. Quelle foule versatile ! Les
mêmes qui chansonnent le roi, qui se révoltent au coin de chaque carrefour, qui
complotent, qui ne songent qu’à l’humilier, qui refusent de payer leurs impôts,
les mêmes le voyant apparaître dans sa majestueuse royauté sont tout à coup
charmés, l’acclament, l’admirent, l’aiment… C’est du délire ! Dans ces
moments de pure exaltation, pas un qui ne donnerait sa bourse et sa fille à ce
prince tout auréolé de son prestige.
Est-ce à cause de ces démonstrations populaires que, grisé,
François I er envisagea de postuler pour la lourde couronne de
l’Empire ? Je n’ai jamais pu le savoir, car « mon cousin » n’a
jamais donné les raisons de cette soudaine lubie qui n’enchantait ni sa mère,
ni ses conseillers, ni personne dans le royaume. C’était d’ailleurs un peu
prématuré, l’empereur Maximilien
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