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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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vous le dépenseriez jusqu’au dernier écu ! Vous jetez
l’or à pleines mains. Soyez-en ménager, mon fils. Nous risquons de perdre ce
que vous avez si vaillamment conquis. »
    François lui rétorqua qu’il préférait verser l’or que le
sang et, se tournant vers moi, me demanda à brûle-pourpoint :
    « Triboulet, toi qui as la sagesse infuse, que faut-il
faire pour garder l’Italie ?
    — Il faut trois choses, mon roi : premièrement de
l’argent. Deuxièmement de l’argent. Troisièmement de l’argent.
    — C’est fort bien parlé. Ne trouvez-vous pas, ma
mère ? »
    Je ne suis pas persuadé que ce fût le moment le mieux choisi
pour demander son approbation.
    Je suivais mon nouveau roi jusque dans la chambre de la
reine qui tenait dans ses bras une jolie petite pouponne emmaillotée de soie.
François déposa un doux baiser sur le front de sa fille.
    « Mon beau seigneur s’est laissé pousser la barbe ?
s’étonna le reine.
    — Cela dissimule une légère estafilade reçue à
Marignan. Cela vous déplaît-il, ma douce amie ?
    — Point, mon seigneur, je trouve que cela vous sied à
merveille. »
    Le roi regardait sa fille avec une infinie tendresse :
    « L’archiduc Charles d’Autriche nous l’a fait demander
pour femme. Il me veut comme beau-père. Nous trouverons un autre mari pour
votre sœur Renée.
    — Pauvre petite Louise ! » murmura la reine.
    Charles avait été le fiancé de la reine Claude quand elle
avait dix-huit mois, ensuite celui de Renée, le voilà maintenant qui voulait ce
bébé ! Quelle tristesse que ces mariages de princes ! Ils n’étaient
rien d’autre que des traités politiques conclus dans l’intérêt des États. Un
voile de mélancolie avait recouvert cette charmante réunion de famille.
François le dissipa d’une phrase :
    « Eh bien, madame, faisons fi de la tristesse. Ne
sommes-nous pas heureux tous deux ? »
    Il se leva et nous quittâmes la pièce sans attendre que la
reine lui fasse de sa douce voix le petit reproche habituel sur ses
infidélités.
    Que ne lui reprochait-on pas d’ailleurs ! Ses chasses
qui coûtaient une fortune. Les châtelains, les moines, les paysans se devaient
d’héberger le roi, sa suite ainsi que toute l’animalerie attenante. Et
François I er qui faisait tout avec faste emmenait avec lui une
véritable armée de veneurs, de fauconniers, d’archers, de valets, d’oiseaux, de
chiens, sans compter ses compagnons et une partie des grands seigneurs de la
cour. On lui reprochait aussi ses maîtresses innombrables, les artistes qu’il
avait ramenés d’Italie, son argenterie, ses tapisseries, les constructions
qu’il avait commandées, celle de Chenonceau et les ailes ajoutées aux châteaux
d’Amboise et de Blois.
    C’est dans ce château où la cour s’était installée à nouveau
que je vis arriver un homme qui affichait avec grâce l’approche de la
cinquantaine. Qu’il parlât couramment le latin n’avait rien d’étonnant, tous
les érudits s’exprimaient de la sorte, mais ce brillant théologien, qui venait
de publier un ouvrage remarquable, L’Institution du prince chrétien, manifestait
un intérêt tout particulier à la folie. Il préparait sur ce sujet qui me
touchait de près un traité où il comptait en faire l’éloge. Je suis encore contraint
de mettre de côté ma modestie pour t’avouer qu’il était en admiration devant
mes facéties et que, tout comme avec Machiavel, nous eûmes de longs entretiens
où il ne cessait de me demander comment j’arrivais chaque jour à me renouveler.
Il était « dans une stupeur sans égale lorsqu’il voyait le roi de France
s’enquérir si son Triboulet était bien près de lui ». Il promit de
m’envoyer un exemplaire de son Éloge de la folie dès qu’il serait
imprimé. Il avait même songé à me le dédicacer, mais il réservait cet insigne
honneur à son meilleur ami, son cher Thomas Morus, autrement dit Thomas More,
membre du Parlement d’Angleterre, chargé d’ambassades par Henry VIII. Il
était actuellement en Flandre et serait bientôt envoyé en France. Érasme
m’affirma qu’il ne serait pas étonné de l’intérêt que pourrait me porter cet
homme exceptionnel. Érasme me pressait de questions auxquelles je n’avais pas
le temps de répondre puisqu’il le faisait à ma place :
    « Y a-t-il espèce plus heureuse que ces gens qu’on
traite vulgairement de toqués, de timbrés ou d’innocents ? Que de

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