Le Brasier de Justice
qui dit que l’hoir qui sera issu de ce mariage, Madame Isabelle étant encore très jeune, se montrera accommandant avec son grand-père Charles, si toutefois son père devient à son tour duc de Bretagne 1 ?
Le conseiller posa enfin la plume qu’il n’avait cessé de contempler et de faire tourner entre ses doigts avant d’admettre :
— De juste ! Il me faut réfléchir.
Émile Chappe sentit le congé et se leva en s’inclinant. Nogaret le retint d’un petit geste nerveux.
— Répétez-moi ce qu’a dit M. d’Estrevers au sujet de ce bourreau de Mortagne.
— Messire le grand bailli d’épée du Perche a précisé qu’il s’agissait d’une recrue de choix, qui ne réclamait pas salaire pour sa besogne. J’ignore en quoi elle consiste au juste. L’exécuteur des hautes œuvres de Mortagne épaulerait le sous-bailli Tisans, contre autorisation de consulter des carnets de procès. Messire de Tisans se serait répandu en éloges à son sujet.
Le menton posé sur ses mains jointes en prière, Guillaume de Nogaret l’écoutait avec une intense attention et Émile en fut flatté.
— Hum… qu’en faire, qu’en faire ? Émile, je crois que nous allons fort bien nous entendre. Êtes-vous d’une extrême utilité au frère du roi ?
Le cœur du jeune homme s’emballa d’allégresse :
— Non pas, messire… Monseigneur de Valois dispose de quatre secrétaires… bien peu occupés.
— L’extraordinaire capacité d’organisation de Charles de Valois explique, à l’évidence, la modestie de votre occupation à tous quatre.
Chappe perçut l’ironie et se contenta de hocher la tête.
— Je pourrais donc, sans le gêner, suggérer au roi que mon service à lui requiert une main supplémentaire. Judicieuse économie que de se pourvoir dans un vivier déjà existant. À vous revoir, mon bon Émile. Sous peu.
1 - Ce fut le cas en 1312, sous le nom de Jean III de Bretagne.
XXXII
Environs de Mortagne, octobre 1305
E scorté du chien Aeneas qui tirait une langue d’un pied mais semblait ravi de cette nouvelle aventure, cadet-Venelle parvint devant la haute porte de l’écurie de sa demeure au soir échu. Il se sentait fourbu, et pourtant sa course sur Fringant ne l’avait guère fatigué, pas plus que ses rencontres et son séjour à Nogent-le-Rotrou. L’immense lassitude qu’il ressentait n’était-elle pas la conséquence d’une très vive déception ? Car il avait cru en l’innocence d’Évangeline Caquet. Les sincères confidences de Madeleine Fromentin l’avaient heurté de plein fouet, blessé même. Il tenta de se raisonner : ne valait-il pas mieux qu’une meurtrière ait justement péri sous sa main plutôt qu’une simple innocente ? Que regrettait-il au fond ? Se montrait-il puéril et égoïste en déplorant de ne pas avoir rétabli la justice, une autre justice, la sienne ? Sottise, puisque justice avait été rendue.
Un gamin d’écurie se précipita vers Fringant et lui flatta la bouche en demandant :
— Bon voyage, mon maître ?
— Fort bon. Bouchonne-le bien et offre-lui de l’avoine, il le mérite, d’autant que les soins qu’il a reçus en Nogent n’étaient guère aussi experts et attentifs que les tiens. S’adressant à l’étalon, il poursuivit : Allez, mon tout beau. Merci pour ta vaillance.
— C’est quoi, ce corniaud ? demanda le garçon en caressant Aeneas.
— Ne prononce pas le terme de « corniaud », tu vas gravement l’offenser. Il se prend pour un berger de sang entier, maintenant, plaisanta l’exécuteur.
Bernadine se rua vers lui, le visage illuminé de plaisir à le revoir, ne jetant qu’un regard rapide au chien qui reniflait le bas de sa robe en remuant le fouet. Elle se ressaisit bien vite et adopta une mine sévère et un peu hautaine, plissa les lèvres en affirmant :
— Bien p’tite mine, mon maître, et l’air fort las ! Quant à vot’peau, la v’là presque grisâtre… mauvaise nourriture !
— Maîtresse Hase s’est donné du mal mais nulle ne peut rivaliser avec toi, ma bonne.
Satisfaite par le compliment qu’elle attendait, Bernadine retrouva sa jovialité :
— Et c’est quoi c’t’horreur à poils ?
— Mon chien, Aeneas.
— Doux Jésus, vous manquait qu’un sac à puces, pouffa-t-elle. J’suppose qu’il faut l’nourrir ?
— Certes, et il a bonne panse ! Il convient également de lui trouver un coin abrité dans une dépendance.
— Ah là, là…
Weitere Kostenlose Bücher