Le Brasier de Justice
digestion !
Bernadine pouffa et quitta la pièce, non sans lui avoir servi un gobelet de cidre tiède.
Après avoir confié son cheval au valet qui tenait l’un de ses louages de chevaux à l’entrée de la ville, Hardouin retrouva avec plaisir Mortagne, son animation et son évidente opulence. Étrangement, il lui sembla qu’il était attendu en l’hôtel qu’occupaient le sous-bailli et ses services, alors qu’il n’avait pas prévenu de sa visite ni même de son retour. Il fut en effet très vite introduit dans le bureau de Messire Arnaud de Tisans, qui leva le nez d’un imposant registre noir et le salua avec une cordialité inhabituelle en précisant :
— Beaucoup d’ouvrage pour vous entre ces lignes. Il s’agit des nouvelles accusations inquisitoriales. Nos bons amis de la maison de l’Inquisition d’Alençon redoublent de zèle.
La repartie sortit avant qu’Hardouin ne parvienne à la retenir :
— Des plaies d’argent 1 , peut-être ?
Arnaud de Tisans le considéra avant de rétorquer d’un ton plat :
— Messire exécuteur, il est des railleries qui peuvent coûter fort cher. Mais sans doute ai-je mal saisi votre propos.
Hardouin comprit la mise en garde. Au fond, que savait-il vraiment du sous-bailli ? Certains avaient été dénoncés à l’Inquisition pour moins que cela. Il changea de sujet :
— Vous allez être déçu.
— Diantre, je déteste les déceptions !
— Apprendre à les tolérer n’est-il pas la définition de la vie ?
— Vous voilà bien philosophe, cadet-Venelle ! grinça le sous-bailli. Allons, servez-moi cette aigre nouvelle !
Hardouin relata son séjour à Nogent-le-Rotrou, les anciens témoins qu’il avait interrogés, passant sous silence la « vigueur » de certains de ses interrogatoires et omettant, à sa parole, de mentionner Madeleine Fromentin, tant il était certain que le bailli avait oublié le déplacement de la hachette. Il conclut :
— Or donc, Évangeline Caquet a tué d’horrible façon la femme Muriette Lafoi. Le veuf, bien que peu éploré, n’y est pour rien.
Contrairement à ce qu’il supputait, le sous-bailli eut l’air fort peu marri de cette découverte, qu’il accueillit d’un sourire et d’un :
— Eh bien… Finalement, vous m’en voyez aise. Certes, je m’étais bercé d’illusions au sujet de cette monstresse, sans doute par compassion pour son abrutissement. Mais je suis soulagé, en vérité. Vous m’ôtez de l’âme un poids, tant je redoutais d’avoir condamné une innocente par stupide et inacceptable précipitation.
Étrangement, Hardouin perçut une totale indifférence derrière la déclaration de messire de Tisans.
Un court silence s’établit. Le sous-bailli referma le registre et le posa sur sa table, rectifiant avec soin son alignement. À la tension qu’il cherchait à dissimuler, Hardouin fut certain qu’il pesait ses mots et allait en venir à ce qui le préoccupait vraiment.
Une idée assez saugrenue traversa l’esprit de l’exécuteur. Une idée qui n’avait pourtant rien de déraisonnable, mais qui survenait mal à propos. Arnaud de Tisans poursuivait des visées précises et cruciales à ses yeux, Hardouin en aurait juré. Quant à lui, il se laissait mener vers une destination inconnue, dont il ne savait rien, ne souhaitait rien connaître. Qui des deux parviendrait le plus vite à son but ?
Prends garde ! On te mène, mon tout beau ! Mon tout beau couvert de sang.
— En effet, cette conclusion de l’affaire Caquet me soulage, répéta le sous-bailli. Cadet-Venelle… Et les ignobles et intolérables meurtres de petits miséreux… avez-vous progressé ?
— Non pas. Un autre enfant fut découvert durant mon séjour à Nogent. Je l’ai examiné, en compagnie d’Antoine Méchaud, le mire de talent que vous aviez mentionné.
— Et ?
— Une boucherie. Méchaud avait suggéré le nom d’un éventuel suspect. Mon… entrevue avec lui ne confirme pas les soupçons du mire.
Le visage émacié du sous-bailli se crispa de déception. Il se contraignit pourtant à un sourire courtois.
— Messire Guy de Trais doit en avoir les sangs retournés.
— Je ne sais, seigneur bailli, ne l’ayant point rencontré.
— Comptez-vous… vous intéresser plus avant à cette épouvantable histoire ? s’enquit Arnaud de Tisans d’un ton trop léger pour être vraisemblable.
— Eh bien, je dois m’occuper de mes affaires, mes louages, mes
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