Le bûcher de Montségur
l’agitation grandissait sans cesse.
Ainsi, à Toulouse, les inquisiteurs rencontrèrent un adversaire inattendu en la personne d’un certain Jean Tisseyre, habitant du faubourg ; cet homme du peuple parcourait les rues de la ville et haranguait la foule en ces termes : « Messieurs, écoutez-moi. Je ne suis pas hérétique : car j’ai une femme et je couche avec elle, j’ai des fils, je mange de la viande, je mens et je jure, et je suis un bon chrétien. Aussi ne croyez pas un mot de ce qu’on dit que je ne crois pas en Dieu. On pourra bien vous le reprocher aussi comme on me le reproche à moi-même, parce que ces maudits veulent supprimer les honnêtes gens et enlever la ville à son maître 160 . » Ces propos subversifs attirèrent, bien entendu, sur Tisseyre, les soupçons des inquisiteurs, qui le firent arrêter et le condamnèrent au bûcher, bien qu’il persistât à se déclarer bon chrétien et catholique. Quand le viguier Durand de Saint-Bars voulut mettre la sentence à exécution, il y eut un soulèvement populaire et la foule manifesta si bruyamment contre les moines et le viguier que le condamné dut être ramené dans sa prison. La colère des bourgeois de Toulouse ne fut pas calmée pour autant, car ils exigeaient la libération de Tisseyre et voulaient détruire la maison des Dominicains qui inculpaient d’hérésie d’honnêtes gens mariés.
Il est propable, en effet, que Tisseyre n’était pas à proprement parler hérétique et que sa conduite était dictée par une indignation parfaitement désintéressée devant les excès de la procédure inquisitoriale. Ce patriote, qui se désolait de voir « ces maudits » chercher à enlever la ville à son maître, sympathisait sans doute avec les hérétiques comme le faisaient beaucoup de gens du peuple, par haine de l’Église. Mais, ce qui est significatif dans l’histoire de ce martyr de la liberté de Toulouse, c’est que, rencontrant dans sa prison plusieurs parfaits qui venaient d’être capturés par G. Denense, baile de Lavaur, il se convertit aussitôt à leur foi et avec tant d’ardeur qu’il se fit accorder par eux le consolamentum et, malgré les adjurations de l’évêque, confessa hautement son adhésion à l’Église cathare et son désir de partager le sort des parfaits. Il fut brûlé avec eux. « Tous ceux qui l’avaient soutenu jusqu’alors, écrit G. Pelhisson, couverts de confusion, le condamnèrent et le maudirent 161 . » Ce qui semble bien montrer qu’on ne le considérait pas comme hérétique.
Si les protecteurs de Tisseyre furent couverts de confusion, les inquisiteurs durent l’être tout autant ; la volonté de martyre d’un Jean Tisseyre constituait contre eux une charge tout aussi accablante que l’eût été l’exécution d’un hérétique douteux. S’il n’y eut guère de Toulousains décidés à suivre l’exemple de Tisseyre, son attitude dut raffermir dans la foi cathare beaucoup de sympathisants tièdes ou hésitants, car cet homme qui, de notoriété publique, n’était pas un croyant, avait embrassé cette religion au moment où il savait que sa conversion l’entraînait à une mort certaine. Et il devait être populaire non seulement parmi les hérétiques, mais parmi les catholiques qui, dévoués à leur comte, condamnaient la politique de l’Église plutôt que sa doctrine.
Pendant deux ans, G. Arnaud et P. Seila firent régner à Toulouse et dans le comté une véritable terreur : par peur de poursuites, les gens venaient s’accuser en si grand nombre que les Dominicains ne pouvaient les interroger tous et durent s’adjoindre des Frères mineurs (franciscains) et les curés de la ville. Cela se passait habituellement après un sermon public au cours duquel l’un des inquisiteurs assignait un temps de grâce – de huit à quinze jours – à tous ceux qui viendraient confesser leurs fautes spontanément. Ceux qui omettaient de se présenter étaient poursuivis en justice une fois le délai expiré, arrêtés et mis en prison par les Dominicains avec l’aide du viguier. La plupart du temps, ces dépositions concernaient des faits déjà anciens, mais il est évident que seules les personnes capables de faire arrêter des parfaits ou de compromettre sérieusement des croyants de marque bénéficiaient de l’indulgence plénière des juges.
Beaucoup de ces personnes se virent imposer des pénitences canoniques – port de croix, amendes et pèlerinages ;
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