Le bûcher de Montségur
elles échappaient ainsi à la prison, mais restaient toujours sous la menace d’une décision de l’inquisiteur, qui pouvait les convoquer à nouveau et les condamner, les jugements prononcés par l’Inquisition n’étant jamais définitifs (sauf en cas de condamnation à mort, naturellement).
À Toulouse, il y eut ainsi une inquisition générale avec présentations spontanées en masse et arrestations, après le vendredi saint 1235. Un homme (G. Doumenge), ayant négligé de se présenter, fut saisi et menacé de mort, et n’obtint sa liberté qu’en conduisant lui-même l’abbé de Saint-Sernin et le viguier à Cassés, où se trouvaient dix parfaits dont il connaissait la cachette : des dix hommes, trois purent s’échapper, les autres furent pris et condamnés au bûcher.
Dans le Quercy, Pierre Seila et Guillaume Arnaud se rendirent ensemble, firent des procès posthumes à Cahors où ils exhumèrent et brûlèrent un grand nombre de cadavres ; à Moissac, l’administration locale devait être très catholique, car là, les inquisiteurs convainquirent d’hérésie et brûlèrent deux cent dix personnes. La terreur que ce bûcher monstrueux provoqua dans le pays fut telle qu’un des accusés ayant réussi à s’échapper, des religieux de Belleperche le cachèrent dans leur couvent sous un habit de moine ; plus d’une fois, d’ailleurs, et tous les cas ne sont certainement pas connus, des monastères du pays accordèrent ainsi un asile à des hérétiques, la sévérité des Dominicains n’étant pas approuvée par les autres ordres religieux. Les plaintes incessantes du comte forçaient le pape à éloigner de temps à autre de Toulouse les deux inquisiteurs, qui se rabattaient sur le Quercy ; et si, à Moissac, le succès semble avoir été complet (un bûcher de 210 personnes est même un fait unique dans l’histoire de ces années), de Cahors de nombreuses plaintes furent envoyées au pape, toutes dénonçaient l’arbitraire de la procédure des nouveaux juges. Pour calmer les esprits le pape adjoignit aux deux Dominicains un Franciscain, Frère Étienne de Saint-Thibéry, ce qui ne changea du reste rien. De leurs expéditions dans le Quercy, P. Seila et G. Arnaud revenaient à Toulouse, où l’opposition à briser était plus puissante qu’ailleurs, grâce à la présence du comte et au pouvoir considérable des consuls.
Le 4 août 1235, jour de la fête de saint Dominique – le premier qui eût jamais été célébré, le saint ayant été canonisé quelques mois plus tôt – il y eut dans toutes les églises de Toulouse et en particulier dans celle des Dominicains des messes solennelles, célébrant avec la pompe qui convenait la gloire du nouveau saint. Ce jour devait être signalé par un fait tragique dont les Dominicains ne manquèrent pas d’attribuer le mérite à leur saint fondateur. Au moment où l’évêque Raymond du Fauga, après la messe, se lavait les mains pour pénétrer dans le réfectoire, on vint lui annoncer qu’une grande dame avait reçu le consolamentum dans une maison voisine, rue de l’Olme sec. Révolté sans doute par une telle provocation, l’évêque, accompagné du prieur du couvent et de plusieurs moines, se rendit à l’adresse indiquée ; la dame était la belle-mère de Peytavi Borsier, croyant notoire et agent de liaison des hérétiques.
La vieille dame, gravement malade, peut-être déjà mourante, devait sans doute avoir la vue troublée ou ne pas bien comprendre ce qui se passait – en tout cas, elle fut victime d’un sinistre malentendu, et quand on lui dit que Monseigneur l’évêque venait la voir, elle crut qu’il s’agissait de l’évêque des cathares. Raymond du Fauga ne fit d’ailleurs rien pour la tirer de son erreur et, tout au contraire, la prolongea par des propos à double sens ; et interrogeant la moribonde sur sa foi il parvint à tirer d’elle une confession complète de la doctrine hérétique. Il poussa même la perfidie jusqu’à l’encourager à tenir bon dans sa croyance, car, dit-il, « par crainte de la mort vous ne devez pas en confesser d’autre que celle que vous professez fermement et de tout cœur ». Et comme la vieille dame protestait de sa fermeté, disant que ce n’était pas pour ce qui lui restait à vivre qu’elle renoncerait à sa foi, l’évêque lui découvrit sa véritable identité, la déclara hérétique, et la conjura de se convertir à la foi catholique. La mourante,
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