Le bûcher de Montségur
par Isam de Fanjeaux qui faisait dire à Pierre-Roger que le comte de Toulouse lui demandait de tenir bon jusqu’à Pâques ? Ces deux hommes auraient prétendu que le comte s’apprêtait, avec le secours de l’empereur, à lever une armée pour venir dégager Montségur. Pierre-Roger de Mirepoix pouvait-il croire à une promesse aussi vague et aussi peu réalisable ? Il semble plutôt que les dires de Matheus et des deux hommes d’armes aient été destinés à relever le moral de la garnison. Mais le comte avait ses raisons pour demander aux hommes de Montségur de tenir le plus longtemps possible. La deuxième tentative de Matheus eût pu se solder par un succès réel : il avait persuadé deux seigneurs du pays, Bernard d’Alion et Arnaud d’Usson, de se mettre en rapport avec un homme capable de sauver la situation. Les deux chevaliers promirent cinquante livres melgoriennes à un chef de routiers aragonais, nommé Corbario, s’il amenait à Montségur vingt-cinq sergents d’armes ; il devait s’agir évidemment d’un corps d’élite, de ces Aragonais rompus à tous les métiers de la guerre et dont chacun valait un chevalier. Ces hommes eussent été capables, avec l’aide de la garnison, de chasser les Français de la position avancée qu’ils occupaient et d’incendier leur machine. Mais Corbario ne put franchir les lignes toujours plus denses de l’armée assiégeante : cette fois-ci Montségur était bel et bien coupé du monde extérieur et n’avait plus à compter sur personne.
Le château tint encore tout le mois de février. G. de Puylaurens écrit : « On ne laissera aucun repos aux assiégés, ni de jour et de nuit 188 . » La pierrière tirait toujours, rendant impossible la construction d’ouvrages défensifs sur le mur bombardé ; à l’intérieur de la forteresse, le manque de place devait rendre intenable la vie de centaines de personnes littéralement entassées les unes sur les autres. Ce qui paraît curieux, c’est que jusqu’au bout la plupart des défenseurs – du moins parmi les chefs – aient eu leurs « maisons ». Une grande partie de ces maisons devait encore se trouver en dehors des murs, sur les faces septentrionale et occidentale, inaccessibles au tir des boulets. Mais, tel que nous le voyons aujourd’hui, l’espace qui sépare le mur du château de la paroi verticale de la falaise est extrêmement réduit et descend en pente raide ; il est vrai qu’aujourd’hui encore, on voit des villages de montagne perchés sur des parois presque verticales, mais à Montségur on ne trouve pas trace de maisons creusées dans le roc et de construction en pierre, à part des vestiges d’un mur d’enceinte assez rudimentaire qui servait sans doute à soutenir la palissade de pieux. C’est sur cette pente nue et glacée, dans de minuscule cabanes en bois sans doute impossibles à chauffer, ou dans le château où les quelques habitations collées aux entrepôts et à la citerne abritaient les vieux, les malades, les blessés, que les défenseurs de Montségur passèrent l’hiver, sous le fracas sans cesse renouvelé du boulet qui venait frapper la muraille.
D’accord avec l’évêque Bertrand et Raymond de Perella, Pierre-Roger de Mirepoix décida d’effectuer une sortie nocturne, pour tenter de s’emparer de la barbacane, d’en déloger les croisés et d’incendier leur machine. Les hommes de la garnison réussirent, en rampant le long des pentes dominées par la crête, à s’approcher du campement de l’ennemi. Ils furent repoussés, la tentative était désespérée ; dans ce combat engagé sur une pente raide au-dessus des abîmes, un grand nombre des assiégés durent périr, précipités en bas des falaises ; les autres durent battre en retraite, sur le très étroit passage qui séparait la barbacane du château, traînant les blessés et repoussant l’ennemi qui tentait de profiter de la situation pour forcer les dernières défenses du château.
Pendant que les blessés et les mourants étaient déposés en toute hâte sur les premiers lits disponibles, dans les cabanes les plus proches, le reste de la garnison courait sur le mur et aux palissades pour repousser les croisés qui avaient déjà pris pied sur la plate-forme du château. Les femmes et filles de chevaliers – Corba, femme de Raymond de Perella, Cecilia, femme d’Arnaud-Roger de Mirepoix, Philippa, femme de Pierre-Roger, Arpaïs de Ravat, Fays de Plaigne, Braïda de
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