Le bûcher de Montségur
La réponse, transmise, non par le comte, bien entendu, mais par des personnes qui étaient sans doute en rapport avec lui, était toujours affirmative. La garnison résistait. Ces « affaires » du comte désignaient-elles quelque future tentative de soulèvement qui permettrait à Raymond VII d’envoyer une armée pour dégager Montségur ? S’agissait-il d’une négociation concernant plus précisément les hommes de Montségur ? Toujours est-il que le comte demandait à ces hommes de tenir encore, bien que sa position officielle de persécuteur des hérétiques lui défendît tout rapport direct avec les assiégés.
Les parfaits, qui ne pouvaient faire grand-chose pour aider les soldats de la résistance desquels dépendait leur sort, faisaient, semble-t-il, leur possible pour adoucir un peu la rigueur de leur vie ; du moins apprend-on que certains des chevaliers et même des sergents d’armes étaient invités dans les maisons des bons hommes, mangeaient avec eux, en recevaient des présents (ainsi la parfaite Raymonde de Cuq invitait chez elle Pierre-Roger de Mirepoix, le diacre R. de Saint-Martin recevait G. Adhémar, Raymond de Belvis, Imbert de Salas et l’ingénieur Bertrand de La Beccalaria ; plus tard, l’évêque Bertrand Marty devait distribuer aux sergents du poivre et du sel 184 .) Il est à supposer que même ceux des soldats qui n’étaient pas unis aux parfaits par des liens de parenté et d’amitié finissaient par se sentir rapprochés d’eux dans l’épreuve commune, et par les considérer un peu comme des membres de leur famille, et non comme des êtres supérieurs qu’il faut se contenter d’adorer : on ne peut « adorer » sans cesse des êtres que l’on côtoie vingt fois par jour. Certains des sergents de la garnison donneront plus tard une preuve décisive de leur attachement à la foi des bons hommes.
Certains, exténués par les rigueurs du siège, ont dû espérer le voir finir à n’importe quel prix : on sait qu’Imbert de Salas avait eu un entretien avec Hugues des Arcis lui-même, pourquoi, et dans quelles circonstances ? Dans tous les cas P.-R. de Mirepoix le lui avait reproché, et pour le punir lui avait enlevé l’armure du chevalier Jordan du Mas, tué au cours d’un des combats près de la barbacane 185 . Le chef de la garnison avait ordonné à ses hommes de ne recevoir les croisés qu’à coups d’arbalète – ce qui prouve que les assaillants tentaient parfois d’établir des contacts, et n’étaient pas toujours mal reçus.
Le moral de la garnison était sérieusement atteint ; il n’était cependant pas question de capituler, et la prise d’assaut semblait presque impossible. Vers la Noël, ou peu après la Noël, les assaillants marquèrent pourtant un progrès décisif : ils réussirent à s’emparer de la barbacane et se trouvèrent ainsi à quelques dizaines de mètres du château. En fait, le château lui-même leur demeurait presque aussi inaccessible qu’avant : pour y accéder il leur eût fallu passer sur un crête large de 1,50 m entre deux précipices. Mais du moins avaient-ils pu chasser les défenseurs de la barbacane, et y installer leur pierrière ; à portée des boulets, les faces méridionale et orientale de la forteresse étaient exposées au tir, et les habitations qui les entouraient durent être évacuées. Les personnes qui les occupaient durent sans doute se réfugier à l’intérieur des murs, où elles n’avaient pratiquement pas de place pour se loger. Les assaillants contrôlaient à présent toute la montagne, ils étaient presque dans la place, la machine de l’évêque d’Albi battait le mur oriental sans répit ni trêve.
Comment les croisés parvinrent-ils à atteindre ainsi la tour (ou barbacane) de l’est séparée de leur avant-poste par un chemin difficile et bien défendu ? Selon G. de Puylaurens, ils empruntèrent un passage pratiqué dans le rocher même ; les soldats furent guidés par « une bande d’alertes montagnards du pays, armés à la légère et connaissant bien les lieux 186 » ; il s’agissait donc d’un chemin secret, puisque les Basques, tout bons montagnards qu’ils étaient, ne l’avaient pas trouvé ; ce n’était pas un sentier, mais une série d’anfractuosités de la roche reliées entre elles, sans doute, par quelques marches creusées dans la pierre, et ce passage ne devait être connu que par un assez petit nombre de personnes appartenant
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