Le bûcher de Montségur
soit au village de Montségur, soit aux escortes de guides qui avaient l’habitude d’accompagner les parfaits dans leurs déplacements. Encore ce chemin ne devait-il pas être utilisé souvent : il grimpait, dit G. de Puylaurens, au-dessus de « précipices horribles » ; et les soldats qui le franchirent de nuit devaient avouer plus tard que jamais, de jour, ils n’eussent osé s’y engager. Après avoir ainsi escaladé une muraille de rocher presque verticale, ils étaient parvenus à la barbacane, défendue par les assiégés, qui les laissèrent approcher sans méfiance, trompés peut-être par la voix des guides et croyant avoir affaire à des amis.
La tour de l’est fut donc enlevé par surprise : les sentinelles avaient eu le temps de donner l’alarme, mais les hommes qui venaient de gravir le chemin secret devaient être assez nombreux et d’une bravoure à toute épreuve. On ne sait quel était le nombre des soldats qui gardaient la barbacane, mais ils furent probablement tous massacrés avant que leurs compagnons du château aient eu le temps de se porter à leur secours. À présent, les croisés étaient bien maîtres de toute la montagne et pouvaient faire monter des troupes sur la crête sans craindre d’être repoussés : l’étroit passage qui séparait le château de la barbacane protégeait les assiégés mais ne leur permettait aucune manœuvre offensive. Il semble bien que cette fois-ci les défenseurs de Montségur aient été victimes d’une trahison ; d’une demi-trahison tout au moins, les guides (achetés sans doute à prix d’or par les croisés) ayant certainement été des gens qui jouissaient de la confiance des assiégés ; autrement, on ne comprendrait pas que le passage secret n’ait pas été révélé aux assiégeants quelques mois plus tôt.
À partir de ce jour seulement les défenseurs de Montségur semblèrent se rendre compte que la partie était perdue, à moins d’un miracle : c’est après la prise de la tour que les hérétiques Matheus et Pierre Bonnet sortirent de la forteresse, emportant avec eux de l’or, de l’argent et une grande quantité de monnaie, pecuniam infinitam 187 : le trésor qui devait être mis à l’abri. Imbert de Salas, lors de son interrogatoire, révéla plus tard que les deux hommes bénéficièrent de la complicité de soldats de l’armée assiégeante qui montaient la garde devant le dernier passage encore accessible aux assiégés : ces soldats se trouvaient être des hommes de Camon-sur-l’Hers, du fief de Mirepoix. L’évacuation du trésor n’en fut pas moins une opération des plus risquées, le passage qu’il fallait emprunter étant encore beaucoup plus difficile et plus dangereux que celui par lequel les croisés étaient montés la nuit de l’escalade. Si les défenseurs de Montségur ont attendu de n’avoir plus que ce chemin-là pour songer à mettre leur trésor à l’abri, c’est qu’avant ce jour, ils avaient dû croire que la place ne pouvait être prise. L’or et l’argent – une somme sans doute très importante – fut enfoui par les deux parfaits dans le bois des montagnes du Sabarthès, en attendant le jour où une cachette plus sûre pourrait être trouvée.
Le siège continuait. Une tentative des Français pour surprendre les assiégés fut aisément repoussée. Le mur oriental, court et exceptionnellement épais, ne pouvait être démoli ni même sérieusement entamé par la pierrière ; Bertrand de La Baccalaria montait en tout hâte une nouvelle machine. Le parfait Matheus revint dans la place vers la fin janvier, amenant deux hommes d’armes avec des arbalètes ; le renfort était maigre, mais c’était mieux que rien. Par le passage de la cheminée du Porteil (voir, pour ce qui concerne les détails de ce siège, l’analyse qu’en fait F. Niel dans son ouvrage Montségur, la Montagne inspirée ), seuls, pouvaient se risquer des hommes adroits et intrépides ; et pour aller s’enfermer dans la forteresse à un tel moment, il fallait un dévouement sans bornes à la cause de l’hérésie. Le même Matheus redescendra encore une fois chercher des renforts : il ne ramènera qu’un seul homme et des promesses qui ne se réaliseront pas, sans doute à cause de la vigilance accrue des troupes qui encerclaient la montagne.
Cependant, les assiégés espéraient encore : les sergents amenés par Matheus étaient-ils, selon la déposition d’Imbert de Salas, envoyés
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