Le bûcher de Montségur
châteaux, donnant l’exemple d’une vie plus austère que celle des parfaits.
Il n’est pas toujours bien reçu, loin de là. « Les adversaires de la vérité, dit Jourdain de Saxe, se moquaient de lui, lui jetaient de la boue et de vilaines choses et lui attachaient de la paille derrière le dos. » De tels traitements n’ont pas de quoi troubler une âme aussi ardente que celle de Dominique. Le même Jourdain rapporte la réponse que le saint fit à des hérétiques qui lui avaient demandé : « Que ferais-tu si nous nous saisissions de toi ? – Je vous supplierais, répondit-il, de ne pas me mettre à mort du coup, mais de m’arracher les membres un à un, pour prolonger mon martyre ; je voudrais n’être plus qu’un tronc sans membres, avoir les yeux arrachés, rouler dans mon sang, afin de conquérir une plus belle couronne de martyre 45 ! »
La démesure tout espagnole de ce discours a dû décourager ses adversaires, qui, s’ils persistaient à voir en Dominique un envoyé du diable, pouvaient se rendre compte qu’ils n’avaient aucun pouvoir sur ce forcené. Il traversait en chantant les villages où hommes et femmes le poursuivaient de menaces et de quolibets ; fatigué, il s’endormait sur le bord du chemin.
Mais même ses apologistes les plus fervents parlent davantage de ses miracles (peu convaincants) que du nombre des conversions qu’il a obtenues.
L’énumération des conférences contradictoires est en elle-même assez édifiante : saint Dominique et l’évêque d’Osma prêchèrent à Montpellier – sans succès. Ils prêchèrent à Servian, où les ministres cathares Baudoin et Thierry, voyant leur attitude humble et leurs pieds ensanglantés, consentirent à discuter avec eux ; après huit jours de débats, les deux missionnaires catholiques se retirent sans avoir obtenu d’autre résultat que des marques de respect des catholiques locaux. À Béziers, les deux Espagnols prêchent, avec les légats, pendant quinze jours et discutent avec les parfaits sans obtenir d’autre résultat que la conversion de quelques croyants.
À Carcassonne, ils prêchent pendant huit jours sans rien obtenir. À Montréal, ils rencontrent Guilhabert de Castres, le plus grand prédicateur cathare de l’époque, fils majeur de l’évêque cathare de Toulouse, ainsi que les diacres Benoît de Termes et Pons Jordan et un grand nombre de parfaits. Le cathare Arnaud Hot soutint publiquement (selon Guillaume de Puylaurens) que « … l’Église romaine, défendue par l’évêque d’Osma, n’était ni sainte ni épouse du Christ ; mais épouse du diable et doctrine des démons. C’était la Babylone que Jean appelait, dans l’Apocalypse, la mère des fornications et des abominations, ivre du sang des saints et des martyrs de Jésus-Christ. Son ordination n’était ni sainte, ni bonne, ni établie par le Seigneur Jésus-Christ. Jamais le Christ ni ses apôtres n’avaient ordonné ni posé la règle de la messe telle qu’elle est aujourd’hui. » L’évêque d’Osma offre de prouver le contraire en s’appuyant sur le Nouveau Testament.
(« Ô douleur ! s’exclame l’historien, chez des chrétiens les statuts de l’Église et de la foi catholique étaient tombés dans un tel avilissement que des juges laïques avaient à se prononcer sur de pareils blasphèmes 46 ! » Constatation pertinente s’il en fut. Mais les juges qui devaient se prononcer sur ce débat se trouvèrent d’avis si contraires qu’ils se séparèrent sans avoir rien décidé.)
À Verfeil, qui avait déjà mal accueilli saint Bernard, les envoyés du pape discutent avec les cathares Pons Jordan et Arnaud Arifat, les deux parties semblent avoir du mal à se comprendre, soit pour des raisons de difficultés linguistiques (certains cathares ne parlent pas le latin), soit par suite du manque de clarté dans les discours des orateurs : l’évêque d’Osma se retire, indigné, s’imaginant que les hérétiques se représentent Dieu comme un homme assis dans le ciel et dont les jambes sont si longues qu’elles occupent la distance entre le ciel et la terre ! « Que Dieu vous maudisse, dit-il, grossiers hérétiques en qui je croyais vainement trouver quelque finesse d’intelligence 47 . »
La dernière conférence eut lieu à Pamiers, sous le haut patronage du comte de Foix qui prête pour les débats son château du Castela. L’évêque d’Osma et Dominique y sont secondés par Foulques,
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