Le bûcher de Montségur
hérétiques dépossédés, se trouvait à présent dans une situation plus critique qu’avant 1209, car les comtes et les chevaliers faidits cherchaient non seulement à lui reprendre les biens confisqués, mais encore à s’emparer de ceux que Raymond VI avait été forcé de rendre à l’Église. Encouragé par ses succès militaires, Raymond VII avait même repris le comté de Melgueil devenu fief direct de la papauté et tenu par l’évêque de Maguelonne. Les évêques intronisés pendant la croisade avaient dû fuir leurs villes ; Guy des Vaux de Cernay, évêque de Carcassonne, était rentré mourir en France et avait été remplacé par son prédécesseur destitué (et partant populaire) Bernard-Raymond de Roquefort ; Foulques, l’évêque de Toulouse excommuniée, n’ose reparaître dans cette ville qui le rend responsable de tous ses malheurs ; l’évêque Thédise d’Agde, ex-légat et un des principaux artisans de la croisade, les évêques de Nîmes et de Maguelonne, avaient dû se réfugier dans la catholique Montpellier, avec le primat d’Occitanie, le vieil archevêque de Narbonne, Arnaud-Amaury. Là, à l’abri des émeutes populaires, ils menaient une intense campagne diplomatique, à coups d’excommunications et d’appels au pape, essayant tantôt de se concilier les comtes, tantôt d’attirer sur eux les foudres royales et pontificales.
L’ancien abbé de Cîteaux, après avoir soutenu Amaury de Montfort, jouait à présent la carte nationale, et semblait enfin comprendre le danger que la menace française représentait pour son pays, et peut-être pour l’indépendance politique de l’Église occitane : après avoir constaté que le roi ne voulait se charger de la croisade qu’à condition de s’annexer les provinces du Midi, Arnaud-Amaury s’était définitivement tourné vers Raymond VII et avait tenté de le faire reconnaître par l’Église comme seigneur légitime de ses terres. Fait curieux, l’ancien chef de la croisade fut à peu près le seul, parmi les évêques occitans, à avoir (peut-être) songé à autre chose qu’à l’extermination de l’hérésie et aux intérêts immédiats et matériels de l’Église. Mais ce prélat belliqueux et turbulent devait mourir en 1225, après avoir légué à l’abbaye de Fontfroide ses livres, ses armes et son cheval de bataille. En sa personne, le parti de l’indépendance perdait un allié sinon influent du moins énergique. Arnaud-Amaury fut remplacé par Pierre-Amiel, partisan déclaré de la croisade et de la royauté. Le clergé occitan représentait à présent un parti politique d’autant plus agressif qu’il était impopulaire, d’autant plus dangereux que chacun de ses échecs était ressenti à Rome comme une défaite de l’Église.
Que l’Église fût, dans le Languedoc, excessivement impopulaire, le fait n’a rien de surprenant : en approuvant ouvertement et violemment la croisade, évêques et abbés n’avaient pu que s’aliéner la confiance des catholiques eux-mêmes. Les troubadours unissent dans leurs malédictions les Français et les clercs, Francès et clergia , et la Chanson prête à maintes reprises aux seigneurs occitans des propos tels que : « Nous n’aurions jamais été vaincus, sans l’Église …» L’Église, pour ceux-là mêmes qui invoquaient les saints et vénéraient les reliques, était l’ennemi par définition. Faut-il en conclure qu’elle n’avait pas de partisans dans le pays ?
Toute grande cité avait son évêque, lequel était un puissant seigneur, souvent co-suzerain de la ville, parfois suzerain unique. Béziers, Toulouse, prêtaient hommage à la fois au comte (ou au vicomte) et à l’évêque, et les prétentions d’un Arnaud-Amaury, en tant qu’archevêque, au duché de Narbonne, étaient contestables, mais non extravagantes. Même dans le cas – comme à Toulouse avant l’avènement de Foulques – où l’autorité de l’évêque était pratiquement inexistante, l’évêché disposait d’un vaste appareil administratif, judiciaire, fiscal, qui employait un grand nombre de personnes, des clercs pour la plupart, qui travaillaient pour lui et en vivaient. Avant la croisade, à l’époque où l’Église était affaiblie et déconsidérée, le Languedoc comptait beaucoup d’abbayes puissantes et prospères ; la réforme cistercienne avait créé un renouveau de foi catholique, et le troubadour Foulques de Marseille, loin de se faire
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