Le bûcher de Montségur
suspects. Ces derniers furent cités pour comparaître devant le tribunal ecclésiastique.
Mais cette première enquête ne donna pas de résultats appréciables : interrogés, les suspects refusèrent de parler. Certains, plus courageux ou plus instruits que les autres, exigèrent les noms des témoins qui avaient déposé contre eux – ce qui était leur droit le plus strict ; il ne pouvait y avoir de procédure juridique régulière sans confrontation des inculpés avec les témoins à charge. Mais il est bien évident que le cas était un peu spécial ; les juges ne pouvaient donner les noms de leurs informateurs, par crainte de les exposer à la vengeance publique et de décourager ainsi les délations dans l’avenir. Le cardinal-légat ayant refusé de donner aux inculpés les noms de leurs accusateurs, ils le suivirent jusqu’à Montpellier où ils lui présentèrent de nouveau leur requête.
Romain Saint-Ange s’en tira par une ruse : il leur montra la liste de toutes les personnes qui avaient été citées lors de l’enquête, sans dire si elles avaient déjà déposé ni contre qui elles avaient témoigné, demandant aux accusés s’ils pouvaient indiquer dans cette liste les noms de leurs ennemis personnels. Désorientés, et ne sachant si les témoins cités avaient déposé en leur faveur ou contre eux ou même s’ils avaient accusé qui que ce soit, les inculpés n’osèrent récuser personne et s’en remirent à l’indulgence du légat. La ruse de Romain de Saint-Ange devait être, plus tard, largement utilisée par les tribunaux ecclésiastiques.
Ce ne fut pas à Toulouse même, mais à Orange, que le légat examina le procès de ces hérétiques ; il tint concile à Orange pour promulguer, dans les États du Languedoc soumis au roi de France, les règlements qu’il avait déjà institués à Toulouse. L’évêque de Toulouse, Foulques, l’avait accompagné, et ce fut lui qui, de retour à Toulouse, se chargea d’imposer aux accusés les pénitences que le légat avait ordonnées. Romain de Saint-Ange quitta le Midi de la France pour retourner à Rome, où le pape n’allait pas tarder à le nommer évêque de Porto.
III – IMPUISSANCE DE L’ÉGLISE ET RÉACTION DOMINICAINE
À ce moment-là, le légat put croire que l’« Église avait enfin trouvé la paix dans ce pays » (G. Pelhisson). Mais son acte d’inquisition, malgré le bûcher du parfait Guillaume et la citation en masse de suspects, ne dut pas faire grande impression sur les Toulousains. L’évêque Foulques, auquel était confiée la tâche de la répression de l’hérésie, était si impopulaire qu’il n’osait pas se déplacer sans escorte armée et avait du mal à percevoir les dîmes qui lui étaient dues. Le comte, cela se comprend assez, ne faisait absolument rien pour défendre les droits de son évêque, et le vieux prélat s’en plaignait amèrement, disant, avec un involontaire cynisme : « Je suis prêt à être de nouveau exilé, puisque je n’ai jamais été mieux qu’en exil 154 . » Foulques, du reste, n’occupera pas longtemps le siège épiscopal de Toulouse ; âgé, fatigué, et surtout découragé par l’hostilité invincible que lui témoignent ses diocésains, il se retirera au couvent de Grandselve où il se préparera à la mort en composant des cantiques. Il mourra en 1231.
La répression méthodique de l’hérésie, imposée par le traité de Meaux et solennellement inaugurée par Romain de Saint-Ange, s’avérait pratiquement irréalisable. Les mesures policières prises contre l’hérésie par un pouvoir ecclésiastique moralement isolé du reste du pays n’avaient, semble-t-il, servi qu’à créer chez les hérétiques et leurs partisans un esprit de dissimulation systématique et consciente ; les lois nouvelles restaient sans vigueur, parce que toutes les personnes qui avaient affaire, de près ou de loin, à des gens d’Église, protestaient de leur orthodoxie, et qu’en fait la vie du pays échappait au contrôle d’une police ecclésiastique insuffisamment nombreuse et par conséquent peu redoutée.
« Les hérétiques et leurs croyants, dit le Dominicain Guillaume Pelhisson en parlant des années qui suivirent le traité de Meaux, s’armèrent de plus en plus, multipliant leurs efforts et leurs ruses contre l’Église et les catholiques. Ils firent à Toulouse et dans ses alentours plus de mal que pendant la guerre 155 . »
Nous ne connaissons de
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