Le bûcher de Montségur
hérétiques de La Bessède 156 ; ce meurtre resta impuni et les seigneurs de l’endroit (les sires de Niort) et même le comte de Toulouse furent accusés de cet attentat. Les mêmes sires de Niort – de l’ordinaire de l’archevêque de Narbonne – avaient envahi, en 1233, les armes à la main, les terres de l’archevêché et, non contents d’avoir emprisonné une partie des serviteurs et enlevé le bétail, ils avaient pénétré dans la résidence de l’archevêque, l’avaient blessé, maltraité ses clercs, emporté le pallium (signe de la juridiction métropolitaine) et beaucoup d’objets précieux, et avaient ensuite incendié le pays. L’archevêque (Pierre Amiel) en avait porté plainte au pape, dénonçant lesdits seigneurs comme des hérétiques et des rebelles, et c’était le moins que l’on pouvait dire. Mais s’il pouvait protester auprès du pape, il ne parvenait pas à se faire rendre justice dans son propre diocèse, et cela malgré la présence des autorités françaises dans le pays.
Dans le Toulousain, la réaction de la population contre l’Église était d’autant plus violente qu’elle était soutenue presque ouvertement par le comte. Le Dominicain Roland de Crémone, ayant prêché dans la chaire de l’Université nouvelle contre les hérétiques et ayant accusé les Toulousains d’hérésie, les consuls avaient protesté hautement et demandé au prieur du couvent des Dominicains d’imposer silence au fougueux prédicateur. Le Frère Roland n’en continua pas moins de flétrir la conduite des gens de Toulouse, et provoqua le scandale dans la ville en faisant exhumer et brûler les corps de deux personnes mortes récemment : A. Peyre, donat du chapitre de Saint-Sernin, et Galvanus, ministre vaudois enterré au cimetière de Villeneuve ; les deux hommes, bien qu’hérétiques ou du moins suspects d’hérésie, avaient joui d’une grande considération jusque dans les milieux catholiques. Ces actes accomplis « pour la plus grande gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, du bienheureux Dominique et en l’honneur de notre mère l’Église romaine » (G. Pelhisson), révoltèrent l’opinion publique et amenèrent les consuls à protester de nouveau auprès du prieur des Dominicains et à obtenir le renvoi du Frère Roland. Le même Pelhisson se plaint des chevaliers et des bourgeois de Toulouse qui ne cessaient de multiplier les attentats contre les personnes qui recherchaient les hérétiques. Ces recherches devenaient si dangereuses qu’il fallait aux autorités ecclésiastiques beaucoup de courage pour les continuer malgré tout et pour amener les suspects capturés dans les prisons d’Église où ils pouvaient être interrogés et jugés.
La difficulté n’était pas de découvrir les hérétiques, mais de parvenir à s’emparer de leurs personnes ; les tribunaux en étaient le plus souvent réduits à condamner par contumace ou à arrêter des gens très peu suspects et contre lesquels rien de grave ne pouvait être prouvé, comme cette Peyronnelle, de Montauban, âgée de douze ans, élevée dans un couvent de parfaites et réconciliée à l’Église par l’évêque Foulques. Encore mieux : les bourgeois passaient parfois à l’attaque en se servant des arguments mêmes de leurs adversaires. Ainsi un certain P. Peytavi ayant, au cours d’une dispute, traité le fabricant de boucles Bernard de Solaro d’« hérétique » (et avec raison, semble-t-il), ce dernier porta plainte en diffamation. Peytavi fut convoqué devant le conseil de la ville et condamné par les consuls à plusieurs années d’exil, à des dommages-intérêts à Bernard et à une amende. La faute de Peytavi n’était pas d’avoir suspecté l’orthodoxie du fabricant de boucles, mais d’avoir trop ouvertement manifesté ses sentiments catholiques. Il se plaignit d’ailleurs aux Dominicains de Toulouse, en appela à l’évêque, et, devant le tribunal d’Église, soutenu par les Dominicains Pierre Seila et Guillaume Arnaud, il gagna son procès avec éclat et son adversaire dut s’enfuir en Lombardie. À ce sujet, G. Pelhisson écrit : « Bénis soient Dieu et son serviteur Dominique qui a su si bien défendre les siens 157 ! » L’importance accordée par l’Église à une affaire aussi insignifiante (les deux Dominicains qui aidèrent Peytavi n’étaient autres que les deux futurs Inquisiteurs de Toulouse) montre en elle-même combien âpre et infructueuse
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