Le bûcher de Montségur
était la lutte que menaient à ce moment-là les autorités ecclésiastiques contre le pouvoir consulaire. Ils en étaient réduits à louer Dieu parce qu’ils avaient réussi à faire casser un jugement qui donnait raison à un homme suspect d’hérésie, et encore n’avaient-ils pas convaincu les consuls mais seulement leur propre évêque.
Cet évêque, intronisé depuis la mort de Foulques, était Raymond du Fauga – ou de Falgar – de la famille de Miramont, de la région de Toulouse. C’était un Dominicain fanatique et dur, qui, d’après Guillaume de Puylaurens, « débuta comme avait fini son prédécesseur, en poursuivant les hérétiques, en défendant les droits de l’Église, et en poussant le comte, tantôt avec énergie, tantôt avec douceur, à faire le bien 158 ». Cet évêque devait, en effet, posséder beaucoup d’énergie, car il avait réussi à entraîner le comte (dont les catholiques déploraient la « négligence crasse » à persécuter les hérétiques) dans une battue à la tête d’une escorte armée, battue au cours de laquelle fut surprise une réunion nocturne dans un bois près de Castelnaudary. Dix-neuf hérétiques furent pris ainsi et parmi eux Pagan ou Payen de La Bessède, faidit et un des chefs de la noblesse cathare, chevalier réputé pour sa bravoure. Pagan et ses dix-huit compagnons furent aussitôt condamnés à mort et brûlés sur l’ordre du comte. On se demande de quels arguments put se servir l’évêque pour forcer le comte à cet acte de dureté qui était si peu dans son caractère et qui constituait une sorte de trahison à l’égard d’un vassal : les seigneurs faidits avaient toujours été les plus fidèles partisans de Raymond. En tout cas, ayant donné à Raymond du Fauga cette preuve indubitable de sa bonne volonté, le comte dut s’estimer quitte pour quelque temps et ne fit rien pour empêcher seigneurs et consuls de braver presque ouvertement l’autorité de l’Église.
L’agitation qui régnait dans le pays était si grande que le pape lui-même, par peur d’une révolte généralisée, adopta une politique de douceur relative à l’égard du comte de Toulouse : il recommanda, en 1230, au nouveau légat Pierre de Colmieu, de traiter le comte avec douceur « pour favoriser son zèle pour Dieu et pour l’Église ». Il accorda au comte un délai pour le paiement des dix mille marcs de dommages-intérêts à l’Église, imposés par le traité de Meaux ; il lui permit même, pour les payer, d’imposer des subventions sur les gens d’Église ; enfin, il consentit à examiner le procès posthume de Raymond VI, que son fils se désolait de ne pouvoir enterrer en terre chrétienne selon ses dernières volontés (18 septembre 1230). Ce chantage sur la piété filiale de Raymond VII dura encore longtemps, puisque la sépulture chrétienne ne fut jamais accordée aux restes du vieux comte. Mais le pape n’en continuait pas moins à ménager le comte (du moins en apparence) car « il était utile, pour augmenter sa piété, de l’arroser bénignement comme une jeune plante et de le nourrir du lait de l’Église 159 ». Cette attitude indulgente, que la conduite du comte ne justifiait que partiellement, ne s’explique probablement pas par le désir du pape de freiner les ambitions du roi de France, enfant de quinze ans dont sa mère avait déjà quelque mal à faire respecter l’autorité en dépit de son énergie. Dans la personne du comte le pape cherchait à ménager une opinion publique surexcitée et à protéger l’Église dans un pays qui lui était de plus en plus hostile.
Il semble bien que dans les pays qui n’étaient pas soumis à la suzeraineté du comte de Toulouse mais à celle des seigneurs français et des sénéchaux du roi, la situation de l’Église était pire encore, comme le montre la conduite des seigneurs de Niort à l’égard de l’archevêque de Narbonne. En tout cas, cet archevêque, dont la sécurité était si gravement menacée, se décida, en 1233, à intenter lui-même un procès à ses agresseurs, lesquels trouvèrent des défenseurs zélés jusque dans les rangs du clergé local. Encore ne put-il le faire que sur mandement exprès de Grégoire IX, qui désigna comme juges l’évêque de Toulouse, le prévôt de la cathédrale de Toulouse et l’archidiacre de Carcassonne. Pour obtenir la traduction en jugement de ces seigneurs, le prélat dut d’abord consulter le pape à
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