Le bûcher de Montségur
l’activité des cathares durant cette période que des faits qui ont pu être constatés grâce à des procès, des enquêtes, ou ceux qui étaient de notoriété publique ; même de ces derniers une grande partie a dû échapper à des juges qui ne pouvaient être omniscients et que personne ne se souciait de mettre au courant.
Les seigneurs de Niort, héros du long et spectaculaire procès sur lequel nous aurons à revenir, hébergeaient publiquement cinq parfaits dont ils ne voulaient pas se séparer malgré les injonctions de l’archevêque de Narbonne, organisaient des réunions d’hérétiques et accordaient asile à de nombreux suspects ; leur mère Esclarmonde était une parfaite connue dans toute la région, et dont l’activité et l’influence étaient si grandes que ses chefs spirituels lui avaient accordé la dispense spéciale de manger de la viande et de mentir (au sujet de sa foi et de ses coreligionnaires) quand elle s’y trouverait forcée.
Chez le châtelain de Roquefort, en 1233, se tint une grande réunion d’hérétiques et de croyants qui étaient venus de tous les pays des alentours pour entendre la prédication de Guillaume Vidal. Fanjeaux restait toujours un centre officiel de l’Église cathare ; toute la chevalerie du pays assistait aux réunions présidées par l’évêque Guilhabert de Castres ; et la dame de Fanjeaux, Cavaers, avait, en 1229, solennellement convoqué dans son château de Mongradail toute la noblesse de la région pour l’« hérétication » de son neveu, Arnaud de Castelverdun. À Toulouse, la maison d’Alaman de Roaix (de la famille de ces Roaix qui avaient hébergé le comte de Toulouse chassé de son palais par l’évêque) était une véritable « maison d’hérétiques », où l’on recevait les parfaits et parfaites de passage et où se tenaient des réunions. Le château de Cabaret était la résidence du diacre Arnaud Hot ; ce château, occupé cependant, en 1229, par les troupes françaises, était déjà deux ans plus tard un lieu de réunion pour les hérétiques de la région. Les parfaits et les diacres cathares parcouraient le pays sans même se cacher, accordaient le consolamentum , prêchaient, bref, exerçaient leur ministère d’une façon à peu près normale. On voit le parfait Vigoros de Baconia visiter ainsi tout le pays toulousain et les pays de l’Ariège ; et il ne devait guère se cacher puisque des fidèles, à la nouvelle de son arrivée, accouraient des villes voisines pour entendre ses prédications et ses conseils.
La ferveur religieuse des cathares et de leurs croyants n’avait en aucune façon été ébranlée par les décrets du concile de Toulouse. En revanche, l’exaspération provoquée par la présence de troupes françaises, l’obligation de rendre à l’Église les biens confisqués pendant la guerre, l’obligation, pour le peuple, de payer régulièrement la dîme, l’obligation de rendre aux croisés de Montfort (ou à leurs descendants) les châteaux qu’ils avaient enlevés à leurs propriétaires légitimes – cette exaspération toute naturelle ne cessait de grandir ; la paix de Paris, paix de spoliation, imposée au pays sans contrepartie et ne profitant qu’à l’Église, ne pouvait être considérée comme définitive.
La noblesse – surtout celle des vicomtés de Trencavel –, dépouillée et humiliée, et d’ailleurs belliqueuse par vocation et entraînée à la lutte par vingt ans de guerres, ne songeait qu’à comploter en attendant l’occasion de prendre sa revanche. Le pays n’avait déposé les armes que par manque d’argent pour poursuivre la guerre. Le comte, en dépit des engagements qu’il avait pris, ne songeait qu’à freiner les progrès que l’Église et les forces françaises pouvaient faire dans le pays grâce aux facilités que leur avait accordées la paix. Les seigneurs soumis disposaient de leurs terres en maîtres et songeaient d’autant moins à renoncer à leurs droits que leurs serments de fidélité devaient (en principe) les mettre à l’abri des soupçons de l’Église. Les autorités locales – bailes et viguiers des seigneurs – s’opposaient ouvertement aux recherches et aux arrestations des hérétiques, et ne sévissaient pas contre ceux qui prenaient les armes contre les fonctionnaires du roi.
Ainsi le sénéchal André Chauvet (ou Calvet) fut-il assassiné, en 1230, lors d’une battue qu’il avait organisée pour surprendre les
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