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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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est-elle ? » J’ai bien dans l’œil le visage des Polonaises… Elle n’est pas tout à fait Polonaise. Peut-être les pommettes…
    Elle « durera » encore six heures. Six heures d’immobilité, de silence. Six heures… et puis rien : un simple relâchement des muscles. Une mort exemplaire, sans éclat. J’ai vu et j’ai compris cet éclair de seconde où tout était fini mais, en revanche, je n’ai pas compris cet autre éclair qui me transperçait et qu’aujourd’hui, – presque trente ans après – je n’arrive pas à oublier. Oui, aujourd’hui je suis glacée d’horreur en tournant cette ceinture de « Kouta » entre mes doigts. Oui aujourd’hui où Ravensbrück me semble si loin, j’ai honte de cet instant. Lorsque sur cette couche infâme ma voisine est morte, une joie immense est montée en moi. Une explosion de joie. Peut-être sans doute, le plus grand instant de bonheur de ma vie. « C’est elle qui est morte ! Et moi je vis. » Comme si cette mort d’une inconnue me fournissait une chance de plus. « C’est elle qui est morte ! Et moi je vis. » Une seconde qui me poursuivra jusqu’à ma mort. Une seconde d’oubli. Je ne crois pas : une simple seconde où la véritable « nature inhumaine » fabriquée par l’internement et la déportation remontait à la surface… Plusieurs de mes amies de Ravensbrück ont « ressenti » cette seconde inimaginable en voyant mourir une déportée. C’est cela, pour moi, le plus grand crime de Ravensbrück.

VII
DIALOGUE
    Madame de… (la comtesse) : Mesdames, nous voudrions bien dormir. Il est tard.
    Louisette (la bergère) : Vous avez oublié votre gymnastique.
    Madame de… : Quelle gymnastique ?
    Louisette : Vous savez bien que vous ronflez. (Rires.)
    Madame de… : Ronfler ? Moi ?
    Louisette : Vous nous faites le numéro chaque soir. Vous ronflez et vous empêchez de dormir vos voisines.
    Madame de… : Bon ! Je ronfle ! J’ai oublié les mouvements.
    Louisette : Avec moi Madame de… Je commence (elle chantonne). Et un et un, je pince le nez. Et deux et deux, mes épaules bien à plat sur le lit.
    Madame de… : Moins vite !
    Louisette : Bien à plat, et deux et deux. Et trois et trois, je tousse trois fois. Et quatre et quatre…
    La voisine de Louisette lui souffle à l’oreille :
    — Alors c’est pour ce soir ? Tu lui fais le coup ce soir ? Elle marche. Elle a déjà marché six fois. Demain elle se doutera de quelque chose.
    Louisette baisse la tête.
    — Et cinq et cinq, je creuse le ventre cinq fois. Et six et six…
    Madame de… : Moins vite !
    Louisette : Et six et six… je lève la jambe droite. Et sept et sept, répétez avec moi, et sept et sept.
    Madame de… : Et sept et sept.
    Louisette : Pour ne plus ronfler en dormant.
    Madame de… : Pour ne plus ronfler en dormant.
    La voisine : Vas-y maintenant !
    Louisette : Et sept et sept, je pète sept fois.
    Rires. Éclats de rire.
    Madame de… (indignée) : Oh ! Oh ! Ah !
    La voisine : Bravo ! Tu l’as eue !
    Madame de… : Oh ! c’est inqualifiable, inadmissible !
    Louisette : Ce n’est pas bien méchant.
    Madame de… Inadmissible, je vous dis. Je sais que nous sommes dans une porcherie, mais tout de même… Je ne vous adresserai plus la parole. Bonsoir !

VIII
LES HONNEURS
    Bouche. Oreille.
    — Vous vous rendez compte !
    Et bouches, et oreilles.
    — C’est incroyable !
    En moins d’une heure, « l’événement » a fait le tour du camp.
    — Impossible ! Impossible ! Qui pourrait imaginer une telle scène dans un camp de concentration ?
    — Mais si. J’y étais. Des milliers de femmes ont vu. C’était juste après l’appel, au moment où sont formées les équipes de travail. Devant tout le monde, et tout le monde a vu.
    Bouche. Oreille.
    Et bouches, et oreilles.
    Après le camp – des cuisines au Revier en passant par les bunkers – sur le terrain des kommandos :
    — Moi j’ai vu. Et Bernadette, et la grosse Louisette, et Angèle. Angèle a même craché par terre. Quel dégoût !
    — C’est incroyable !
    — Impossible !
    — Mais si vous la connaissez : la grande sèche… Elle va sur quarante-cinq, cinquante. Un peu toujours à l’écart… sur la défensive.
    — La puante ?
    — Puante ? Puante non ! Je dirai distinguée ; une vraie instruction. D’ailleurs elle est noble. Vous ne connaissez qu’elle.
    — J’ai trouvé ! La Bordelaise ! Oui,

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