Le camp des femmes
j’ai trouvé : Denise de Mar… Cela ne m’étonne plus. Et alors ? Par le menu, ça a donné quoi ? D’où sort-elle ?
— Oh ! son histoire est simple. Tout a commencé par l’Action Française, et puis après, quand ces messieurs sont arrivés, elle est passée à leur service. Elle aurait vendu sa famille pour un sourire d’officier supérieur. Elle en a profité et eux également. Ils ont commencé à s’énerver quand elle a insisté pour faire arrêter son ami : un monsieur très « comme ça », très « comme il faut », très « indifférent » – indifférent politiquement bien sûr – mais « très aisé ». Pour avoir la paix, les Allemands ont arrêté le « protecteur ». Quelques mois plus tard, Madame de Mar… change d’avis – les écus du Monsieur devaient lui manquer – et réclame à la Kommandantur sa libération. « Très bien Madame ! » Le lendemain matin, la Gestapo arrête Madame de Mar… Au Fort du Hâ, elle a bénéficié de certaines protections, on lui a même amené son chien dans sa cellule. J’ai voyagé avec elle pour venir ici. Dans le wagon, elle était très déprimée. Elle ne devait toujours pas comprendre ce qui lui arrivait : « Me faire ça à moi… moi qui… moi que…» et elle nous montrait la photographie de son fils qui servait dans la L.V.F. Un très beau volontaire ! Un très bel uniforme ! Notre petit groupe de Résistantes était écœuré. Et puis voilà ! Tu connais le reste. Ce matin, après l’appel, un S.S. a appelé le numéro de M me de Mar…
Le S.S. était escorté d’une dizaine d’hommes en armes. Celles du premier rang ont cru que c’était un peloton d’exécution. Le S.S. a dit : « Madame, votre fils a été tué sur le Front Russe. » Madame de Mar… a fermé les yeux, puis elle s’est redressée. « À mon commandement ! » Les soldats ont présenté les armes. Longuement. Reposez. Demi-tour. Fini. Elle est restée seule, puis une kapo en la soutenant l’a ramenée au block. Je n’ai jamais, depuis, entendu dire qu’on avait ainsi rendu les honneurs à une déportée, dans un camp (xxviii) .
IX
DIALOGUE (bis)
Madame de… (« La comtesse » réconciliée depuis la veille avec Louisette « la Bergère ») : Comment trouvez-vous ma nouvelle robe ?
Une longue robe rapiécée, composée d’au moins sept morceaux de tissus différents.
Louisette : Pour tomber, elle tombe. Elle tombe même trop.
Madame de… : Le col ?
Louisette : Il bave.
Madame de… : Les poches ?
Louisette : Ah ça, les poches elles chient et pour chier…
Madame de.., : Mais enfin Louisette, je vous prie, vous n’allez pas recommencer ? Vous ne pouvez prononcer une phrase sans vulgarité,
Louisette : Vulgarité ? Ce n’est pas vulgaire. En couture « chier » est un mot courant. Quand une robe a des poches mal fichues, mal plaquées, on dit « elles chient ».
Madame de… : Ce n’est pas possible !
Louisette : Je vous le dis. Tenez j’ai travaillé chez Molyneux. Et Molyneux qui avait un langage de poète, c’est connu, disait des « mauvaises » poches : « elles chient ». C’est comme ça.
Madame de… : Une poche qui « chie », je ne m’y ferai jamais.
Louisette : Et pourtant…
La voisine : Tu l’as encore eue !
Louisette : Non ! Puisque je le dis. J’ai travaillé chez Molyneux. Une poche qui chie c’est une poche qui chie. Je lui ai appris au moins quelque chose à la comtesse.
Une voix : Silence, chipies !
X
LOUISE
— J’avais dit, j’avais juré (xxix) : « Ce jour-là, je ne l’oublierai pas » ; et aujourd’hui je ne sais pas si c’était en juin ou en août. Enfin ! nous étions, par un beau matin ensoleillé de ce dernier été de nos longues « vacances », réunies sur la place d’appel et Louise, la petite Belge aux taches de rousseur, était placée juste derrière moi. Soudain, ses deux mains se plaquent à ma taille. Je n’ose me retourner. Je pense que mes épaules larges la dissimulent aux yeux des gardiennes et, qu’épuisée, elle en profite pour s’appuyer sur moi, pour se reposer. Une quinzaine de secondes passent. Ma voisine de droite, une autre Belge pouffe de rire et au même instant les dix doigts de Louise s’agitent, pétrissent l’étoffe, la peau, la chair… prennent du recul et, phalanges en marteau, reviennent à la charge. Ces attouchements légers et répétés brisent mon garde-à-vous et
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