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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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l’éparpillait.
    — Cette première vision demeure inoubliable ; elle est certainement l’une des images les plus parfaites du bagne tel qu’on l’imagine. Il fallait travailler sans cesse. La surveillante arpentait le terrain et rossait. De leur côté, les gardiennes lançaient leurs chiens sur les prisonnières qui paraissaient trop lentes. Les chiens mordaient les cuisses et, le mauvais état général aidant, les blessures s’envenimaient. Je m’amusai avec mes voisines à mesurer pendant combien de temps il était possible de lever la tête et de demeurer inactives : nous comptions 1-2-3-4-5-6-7… Alors une gardienne approchait et criait d’un ton menaçant : « Weitermachen ! » (continuez !). Nous ne pûmes jamais dépasser le nombre 7… Du haut en bas, de long en large, les weitermachen se répondaient, martelant le bruit sec des pelles sur le sable. Notre jeu consistait à charger notre pelle le plus légèrement possible. Mais, si une gardienne surprenait ce flagrant délit de « sabotage », elle administrait à la coupable une gifle magistrale. Nous nous efforcions de parler entre nous à voix basse, bien que ce fût très difficile.
    — Enfin, à midi, après cette matinée qui avait paru interminable, nous reprîmes les rangs et le chemin du camp. Il faisait une chaleur lourde et pesante. C’était la caractéristique de ce climat continental, dans ce début de printemps, que le passage du froid glacial du matin à l’extrême chaleur de midi. Nous arrivâmes au block vers midi un quart. Une soupe d’odeur et d’aspect également repoussants nous attendait. À midi et demie la sirène de l’appel retentit de nouveau. Même cérémonie que le matin, même défilé. À une heure moins le quart, nous étions de nouveau devant notre tas de sable.
    — Nous reprîmes le travail avec peine, déjà envahies par les courbatures. Nous tâchions de nous distraire en construisant des monticules, des tunnels ou des châteaux forts. Mais les weitermachen ! retentissaient de plus belle. Les chiens, fatigués de toujours guetter, s’étaient couchés. Les gardiennes, qui s’ennuyaient peut-être encore plus que nous, devenaient de plus en plus hargneuses. Il ne fallait plus lésiner avec le sable. Une montagne se dressait à mes pieds. Je donnai de vigoureux coups de pelle, tout en écoutant ma voisine réciter à mi-voix :
    « Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    « Luxe, calme et volupté. »
    — La dernière heure de travail fut presque intolérable. Enfin, à six heures, un coup de sifflet ! Nous étions si fatiguées que nous marchions difficilement. On n’entendait que le clic-clac de nos pantines sur le pavé de la route.
    — Une fois arrivées au camp, en rangs impeccables comme de vieux soldats, l’une de nous entonna La Madelon. Aussitôt nous nous redressâmes et nous nous mîmes toutes à chanter à pleins poumons. C’était l’heure de la « récréation » quotidienne qui durait jusqu’à sept heures et demie. Les prisonnières nous regardaient passer, l’air hébété et admiratif. Nous les entendions dire tout bas : « Französinnen ! (Françaises !). » Alors nous chantions de plus belle et nous tapions des pieds pour bien marquer le pas. En arrivant devant notre block, nous fîmes un tour pour rien, un tour de parade, puis nous nous enfonçâmes à l’intérieur. La Stubowa était stupéfaite de notre discipline, un peu déçue de voir que nous avions l’air si peu abattu. Nous étions rompues, brisées, à demi mortes.
    L’Aufseherin surveillant le kommando du sable – réputée pour sa brutalité – se plante un matin devant une solide Toulousaine :
    — Et toi ? La pelle n’est pas faite pour s’appuyer…
    La Toulousaine qui s’attendait à recevoir une série de coups de gourdin lâche le manche et se protège la tête des deux bras. L’Allemande éclate de rire :
    — Je ne vais pas te tuer. Où as-tu appris l’allemand ?
    — Un peu à l’école, un peu au camp.
    — Tu te débrouilles bien. Toutes tes camarades françaises ne veulent pas apprendre l’allemand. C’est pour cela qu’elles ne comprennent pas les ordres et qu’elles sont battues.
    La Toulousaine abasourdie par cette « cordialité » de l’Aufseherin bredouille quelque chose du genre :
    — Je vais leur dire de faire un effort.
    — Très bien, dit l’Aufseherin, moi aussi. Comment se dit en français « Schnell » ?
    — Schnell ?

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