Le camp des femmes
« 2 e série », les tables. Les promenoirs étaient entre la cloison et les dos de la dernière rangée des spectatrices… et le spectacle commença :
— Guittou récita le poème de l’une des nôtres intitulé « Ravensbrück » . Il disait en vers savamment ordonnés ce que nous sentions toutes au fond de nous : la misère, la faim, la mort, l’épouvante… Mais aussi l’espérance en la résurrection de notre pays ! Puis ce fut le défilé des « Provinces françaises », avec leurs costumes, leurs coutumes, leurs danses, leurs chants… Ah ! ces costumes, comme ils nous semblèrent magnifiques (notre Blockowa avait donné beaucoup de choses). Le bleu, le blanc, le rouge de notre drapeau furent presque constamment en scène. Louise, une solide fille du Nord, a chanté « Le P’tit Quinquin ». Jacqueline Rigaud (Jacotte) et sa mère ont chanté en duo « Le temps des cerises », voix si harmonieusement accordées qu’elles avaient une fraîcheur de source. « Le cabanon de Marseille », par notre petite Dedou, à la voix pleine de soleil des filles de notre Midi. J’ai oublié vos noms, vos visages. Amies qui avez chanté « Ma Normandie » ; je ne me souviens que des pommiers en fleurs, doux mirage qui masquait la scène pour moi pendant que vous chantiez. Roberte, vous avez si bien chanté « La Morvandelle »… Et vous, petites vagues qui chantiez en vous balançant « Les Marins de Groix ». Et vous, frêles vendangeuses avec vos paniers et vos serpettes de carton… Où aviez-vous pris le carton pour « Les Vendanges » ? Et vous, compagnes charmantes qui avez dansé « La Bourrée » . Gardez-vous un peu de reconnaissance au Grand Reich généreux qui vous a fourni une partie importante de votre équipement ? Les sabots !… Et vous Denise, Régine, Yvettou, Josy, le beau « Fandango » tricolore que vous nous avez dansé ! « La Bourguignonne », chantée et dansée par quatre jeunes… Comme elle était jolie notre petite mariée de « La Noce Berrichonne », Francine Bonnet. Comme sa maman la regardait avidement sentant peut-être que c’était une dernière vision de sa petite fille (pauvre maman, pourquoi aviez-vous les cheveux blancs puisque les S.S. n’aimaient pas ça ?). Bisi, le cornemuseux, et Denise dans le vieux papa de cette noce, furent longuement acclamées, en sourdine, bien sûr, pendant qu’aux fenêtres quelques-unes faisaient le guet. Puis, nous avons rencontré : « Les quatre Filles de la Rochelle. »
— Et brusquement, une fille bleue, une fille blanche, une fille rouge sur la scène, et notre Marseillaise éclata en cantique que nous avons repris toutes ensemble au refrain, et que nous chantions, non pas à pleine voix, mais à plein cœur. Spectacle magnifique que vous ne pouvez imaginer vous qui ne l’avez pas vu ! Je crois sincèrement que vous pouvez regretter de ne pas l’avoir vu… ce spectacle (pour le reste, bien sûr, je n’insiste pas).
XVII
LES INDÉSIRABLES
Ramdohr, chef du service politique de Ravensbrück, est fonctionnaire de la police judiciaire. Chargé des interrogatoires, il instruit toutes les « affaires » et même les S.S. n’interviennent pas dans ses décisions. Il est vrai que Ramdohr est un cadre qui a parfaitement assimilé le système concentrationnaire. Mis en place en 1942, il avait à la libération du camp torturé près de 1 500 femmes. Il ne fut mis en échec que deux fois.
Stanislawa Szeweczkova avait fondé un groupe clandestin de résistance composé d’une dizaines de jeunes Polonaises qui se réunissait, une fois par semaine. Dénoncée par une compatriote, Stanislawa est entravée, traînée dans le bureau du service politique et étendue sur une table, tête dans le vide. Ramdohr dépose une grande cuvette d’eau sur une chaise et glisse la chaise sous la tête de Stanislawa. Question. Pas de réponse. La tête plonge dans la cuvette.
— Le nom de tes amis ?
Dix fois, cinquante fois la même question. Dix fois, cinquante fois le supplice de la « baignoire modèle réduit ». Lorsque la Polonaise s’évanouit, des coups de schlague la réveillent. Ramdohr est obstiné mais il a l’habitude de prendre son temps. Il condamne Stanislawa à douze jours de section disciplinaire « sans couverture et sans nourriture ».
Le 13 e jour : table, cuvette, question, questions. Toujours pas de réponse. Nous sommes en hiver ; Ramdohr n’a jamais encore
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