Le camp des femmes
soldats ! Il me repoussa si violemment que je m’affalai contre l’autre mur. Tu travailleras, ou tu mourras, compris ! Je te donne vingt-quatre heures de réflexion, ajouta-t-il.
— Je suis médecin soviétique. Je ne préparerai pas d’armes destinées à assassiner mes frères et mes sœurs.
On m’enferma à nouveau dans le Bunker. Vingt-quatre heures plus tard, l’Aufseherin me fit sortir et me parla plus humainement : je devais travailler, j’étais jeune, je ne gagnerais rien à ne pas travailler, seule m’attendait la mort par la pendaison.
— Je ne crains pas la mort, répliquai-je. Elle marchait sur nos talons quand j’étais au front et nous sommes parents à présent. Comment osez-vous envoyer des prisonnières, vos ennemies n° 1, aux usines de guerre ? Vous n’avez donc plus personne pour travailler ?
L’Aufseherin m’assomma de coups.
Le lendemain, je fus envoyée à la fabrique. Je déclarai à l’Aufseherin de l’atelier, une femme grossière et stupide, que j’étais prisonnière de guerre et ne ferais pas de cartouches. Elle m’obligea à laver les tinettes. Je les lavai toute la journée. Le soir, l’Aufseherin en chef apprenant mon refus se remit à me battre et vint le lendemain à l’atelier pour vérifier ce que je faisais. La contremaîtresse et elle m’empoignèrent et me placèrent devant une machine. Jamais je n’avais pleuré, mais la vue de cette masse de cartouches à la chaîne me fit monter les larmes aux yeux, je n’arrivai pas à les retenir.
On ne me donnait pas à manger puisque je ne travaillais pas. Le soir, je revenais seule au camp, derrière la colonne, escortée d’un S.S. et d’un chien (de peur sans doute que je ne m’évade).
Pendant une semaine, on me fit ainsi changer d’atelier, voulant m’obliger à travailler. L’Aufseherin de chaque atelier acceptait la « maudite » et me battait à sa façon. Je ne fléchissais pas.
Le soir du 7 février, on m’annonça que le commandant du camp m’appelait à Ravensbrück. Je savais qu’on ne convoquait pas sans raison, j’étais prête à tout.
Je fus réveillée à trois heures du matin, et, comme il était tôt, l’Aufseherin m’emmena dans sa chambre. Un poste était sur la table. Je n’y prêtai aucune attention, ne pensant qu’à mon retour au camp, à mes amies, à notre rencontre… Je fus interrompue dans mes pensées par une musique, une musique connue… Croyant à une hallucination, j’entendis soudain une voix féminine : « Ici Moscou. Il est six heures. Voici les dernières nouvelles. » Quelle voix tranquille ! Et comme deux ans et demi auparavant, comme s’il ne m’était rien arrivé, le speaker Lévitan dit : « Du Bureau d’informations soviétique…» Il communiqua la prise de certaines localités et de la ville de Rovno, mais l’Aufseherin débrancha. Je ne puis décrire ce qui se passa alors en moi… Durant tout le voyage j’entendis cette voix : « Du Bureau d’informations soviétique…»
À midi, j’arrivai au camp. Je pensais qu’on me remettrait au Bunker, mais on m’envoya dans mon block. Les détenues, ne sachant pas pourquoi j’étais de retour, me demandaient ce que j’avais eu et me regardaient curieusement. Ce n’est que dans le block que j’appris que durant mon absence avait eu lieu le « Himmel-Transport », l’« envoi au ciel », que l’on y avait emmené nos prisonnières et des femmes en bonne santé pour être gazées.
Je ne comprenais pas : d’un côté la voix familière de Lévitan, de l’autre, l’extermination de ces malheureuses innocentes, sans défense.
J’attendais chaque jour quelque chose, mais rien n’arrivait. Le 10 mars, après l’appel, on m’emmena derrière le camp vers un grand local avec un nombre de pièces incalculable. Le chef de la Gestapo locale, le bourreau Ramdohr, menait l’interrogatoire. Une Aufseherin dactylo et un interprète S.S. écrivaient. Voici le compte rendu de l’interrogatoire.
Ramdohr : Alors, tu ne veux pas travailler en Allemagne ?
Réponse : J’ai travaillé tous les jours au camp ; mais je refuse de travailler pour l’usine de guerre.
Ramdohr : On t’y forcera. Tu crois peut-être qu’on prendra des pincettes. On aurait dû vous exterminer depuis longtemps, toutes. Et vous, qu’en faites-vous de nos soldats, de vos prisonniers ?
Réponse : J’aurais bien voulu être à la place des prisonniers allemands en U.R.S.S.
Ramdohr :
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