Le camp des femmes
l’air. Subitement, elle m’étreignit fortement et les yeux pleins d’angoisse, elle me dit :
— Je ne vais pas mourir.
— Non ! non ma petite, on ne meurt pas sur les genoux d’une maman.
Elle appuya sa tête dans mon cou. Brusquement ses doigts se serrèrent et elle se mit à me sucer le cou (j’en porte encore les marques) comme si ma vie devait passer en elle. En vain j’essayai de ne pas pleurer. Mes larmes coulaient dans ses cheveux – ses beaux cheveux – sur son cou. Et puis ce fut la fin. Le soir, deux compagnes vinrent ; une était Marie-Claude Vaillant-Couturier (cxi) . Elles décidèrent de laisser le corps près de moi et de cacher ainsi la morte pour qu’on ne jette pas de suite le corps de Janine sur le tas. Et seule, je passais la nuit contre ce petit corps qui, brusquement gonfla, devint de marbre. Et je priais pour elle qui fut mon enfant de souffrance.
Chère Madame, ma lettre sera terrible pour vous. Elle est horrible pour moi. Je ne la relis pas… je laisse les ratures… Voilà pour aujourd’hui…
XXVI
SERAIT-IL VRAI ?
Serait-il vrai qu’un jour prochain je revienne (cxii)
Vers toi, vers nous, vers ces chemins connus,
Que tout à la fois, fervente, il me souvienne,
Et que j’entende, au soir sonner notre Angélus ?
Mon pas irait tout droit vers l’entrée familière,
Ma main reconnaîtrait, tremblante, le loquet.
Le cœur battant d’amour, entendrais-je ma mère,
Mon fils ou bien ma sœur qui sa joie me crierait ?
Se peut-il qu’une joie humaine soit si grande ?
Assez vaste mon cœur pour toute la tenir ?
Habitue-moi, mon rêve et que, sage, j’attende
Instant après instant celui de revenir.
XXVII
KOMMANDOS
Une autre histoire. Pratiquement inconnue. Avez-vous entendu parler de Abteroda ? Holleischen ? Ludwigfeld ? Beendorf ? Rechlin ? Gartenfeld ? Autres Ravensbrück. Dix, vingt, cinquante, soixante-trois – au moins – « autre Ravensbrück ». Ravensbrück de la mine, de la fabrique, de la chaîne, du chantier, de l’usine. Dépendances, sans qui Ravensbrück n’existerait pas. Oui, autres Ravensbrück du travail, de la faim, du froid, de l’épuisement total, de l’extermination. Femmes oubliées, camps oubliés. Kommandos plus sauvages, plus cruels que le camp-mère.
Ravensbrück, pour l’ensemble des survivantes qui n’ont vécu que l’incorporation, l’initiation, la quarantaine et quelques jours ou semaines de quotidien du « Grand Camp », c’est avant tout « l’ailleurs » des kommandos. Leur véritable camp de concentration n’est pas le gigantesque Ravensbrück mais le kommando extérieur. Dans un kommando tout est si étrangement pareil et pourtant différent. Les nuances, avec le temps, ont des reflets de caste :
— Oh oui, je connais Hélène… c’est une ancienne de Ravensbrück.
— Et Marthe ?
— Marthe c’est une amie, une sœur de Torgau.
« Ancienne » de Ravensbrück, « sœur » du kommando.
Il est impossible dans le cadre de cette étude, de présenter l’ensemble des témoignages recueillis sur les kommandos. Les pages qui vont suivre, consacrées à Schoenfeld sont, je pense, la meilleure conclusion de ce livre. Ce monde des « travaux forcés » dans les vingt principaux camps extérieurs de Ravensbrück vous le découvrirez dans un nouveau dossier à paraître : « Kommandos de Femmes. »
XXVIII
SCHOENFELD
LA TROP LONGUE ANNÉE (cxiii)
Je ne vous parlerai pas de notre misérable vie au camp de Ravensbrück : je me reporte simplement aux deux derniers jours que nous y avons passés, les 18 et 19 juillet 1944, et qui ont consisté, pendant des heures et des heures, en visites médicales pendant lesquelles on nous laissait nues les unes devant les autres, dans une cour avec, au centre, un petit carré de gazon dont nous faisions, à tour de rôle, le tour pour montrer à ces messieurs les officiers allemands, notre dentition et nos mains. C’était tout ce qu’ils regardaient ; puis, nous entrions dans une petite salle de gynécologie pour y subir un prélèvement.
Était-ce un docteur ou une doctoresse qui nous recevait ? Je ne sais, car nous avions devant nous un être désagréable hybride, aux cheveux coupés très courts, à la voix grave et rauque, qui parlait un peu français et qui nous attrapait si notre position peu confortable ne lui convenait pas.
Ses gestes étaient brusques, et elle (car en définitive c’était une femme) nous
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