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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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faisait mal, ce qui lui occasionnait un réel plaisir.
    Quelques camarades sortaient de ses mains en pleurant, d’autres étaient pâles, d’autres encore scandalisées et révoltées, tel était le cas d’une de mes camarades qui, tout près d’atteindre la cinquantaine, n’en avait pas moins conservé toute son innocence ; elle était juste devant moi, et voici ce que j’entendis :
    « Dites-donc, vous…» demandait le monstre, « quel âge avez-vous ? »
    « — Presque cinquante ans. »
    « Comment ! à votre âge ! mais c’est une honte, ridicule, grotesque ! » et d’un geste brutal…
    Ensuite, douches, épouillages et enfin changement de tenue ; nous troquions sabots, jupe et blouse portant de larges croix peintes, contre la robe que nous ne devions plus quitter jusqu’à notre délivrance. Cette tenue se composait d’une robe de toile grise fermée par trois boutons noirs, d’une chemise bleue foncée à rayures grises, et d’une culotte de grosse toile qui nous arrivait jusqu’aux genoux. Nous échangeâmes plus tard, entre nous, nos robes car elles avaient été distribuées sans tenir compte des tailles. Enfin, on nous donna des chaussures dont la semelle était en bois, le dessus en drap militaire, et qu’on avait à peine le temps d’essayer d’un seul pied. Une fois équipées, on nous laissa en rangs, environ quatre heures, en plein soleil…
    Enfin, on nous distribua, pour les coudre sur notre manche gauche, le triangle rouge des détenues politiques portant la première lettre de notre nationalité, et un rectangle blanc portant notre numéro matricule.
    On nous mit en colonne pour le départ, bien entendu, en séparant les mères des filles, et souvent même les sœurs ; celles qui restaient dans le camp et qui devaient partir plus tard, dans un autre transport, voyaient, hélas ! quelquefois pour la dernière fois, l’être cher qui s’en allait.
    Vers quatre heures de l’après-midi, nous partîmes en camion vers le sud. Nous étions à quatre-vingts kilomètres de la capitale allemande. La traversée de Berlin où il restait encore quelques vestiges de ville, fut faite rapidement. Une population nombreuse semblait mener une vie relativement normale. Nous parcourûmes encore quinze kilomètres et arrivâmes devant un aérodrome sinistre qu’encadraient une douzaine de bâtiments appelés « Hall » qui devaient être tout notre horizon pendant neuf mois… Le camion s’arrêta devant l’unique hall entouré de fils de fer barbelés électrifiés et du plus sinistre aspect.
    C’était le hall 7 des usines Heinckel de Schoenfeld. Ce hall était spécialisé dans la fabrication de l’aile gauche des Messerschmidt 109.
VIE À SCHOENFELD
    Le hall 7 était un long bâtiment comme on en voit généralement sur les terrains d’aviation. Au centre, la chaîne des ailes montée sur rails, et derrière les rails, l’atelier de soudure et les machines. Sur la gauche, un dortoir, une pièce consacrée aux raccommodages, le bureau du kommandant S.S., puis l’infirmerie comprenant deux pièces, enfin une sorte de grande buanderie. Sur la droite, une pièce spéciale réservée aux ouvriers allemands, puis plusieurs pièces pour les ingénieurs de l’usine. La cuisine comprenant plusieurs salles, les W.C. et enfin des magasins contenant le stock d’outils. Au sous-sol se trouvaient les abris hermétiquement clos et le réfectoire de six cents places formé de deux grandes pièces éclairées et aérées par des soupiraux, ainsi que d’autres magasins. À un demi-étage, trois dortoirs sur la gauche, et sur la droite la galerie de manutention qui ne fonctionnait pas la nuit.
    Nous étions cent cinquante Françaises et nous fûmes étonnées de trouver déjà installées dans ce hall deux cents Russes, une centaine de Polonaises et cent cinquante Gitanes, ainsi qu’une cinquantaine de Yougoslaves ou Italiennes, ce qui portait l’effectif à six cent cinquante femmes en tout.
    Les dortoirs, au nombre de quatre, se trouvaient le long de l’usine. À notre arrivée, trois d’entre eux étant déjà occupés, on nous donna donc le quatrième. Il se trouvait au premier et unique étage, entre le dortoir 1 et le dortoir 3 et portait le numéro 2. C’était un ancien réfectoire que l’on avait transformé à cet usage et qui, par conséquent, n’avait ni eau courante, ni water, d’où obligation d’aller soit au « schlafsaal ein » ou « drei » pour

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