Le camp des femmes
faire notre toilette car ces deux dortoirs étaient bien installés, avaient un lavabo sur toute la longueur de la salle et une petite pièce attenante où il y avait six douches et deux waters. Évidemment, pour nous, les Françaises, le dortoir 2 était tout à fait suffisant.
Si nous avions la possibilité d’aller dans les autres dortoirs pour faire notre toilette (toilette d’ailleurs toute relative, car pendant les trois premiers mois nous avons eu droit à un minuscule petit bout de mauvais savon), le nôtre était fermé à clef dès que nous étions couchées et les S.S. avaient mis à notre disposition deux ou trois seaux hygiéniques ; or, qu’étaient trois seaux hygiéniques pour cent cinquante femmes dont la nourriture consistait presque uniquement en soupes claires ?
Quand les Aufseherinnen nous ouvraient les portes pour nous faire lever, il y avait, bien entendu, des désastres, c’était inévitable, ce qui leur procurait l’immense plaisir de nous rouer de coups de pieds, de nous « schlaguer » et très souvent même ce prétexte était bon pour nous laisser en « appel » deux heures de plus.
Je pense que toutes mes camarades se souviendront de ce fameux jour où les Aufseherinnen, ayant renversé les latrines débordantes, obligèrent toutes les filles de ce dortoir à se rouler dans ces excréments, et profitèrent de cette scandaleuse brimade pour appuyer sur les têtes des malheureuses prisonnières qui s’enfoncèrent dans ces immondices.
Si ce dortoir pouvait avoir un agrément, c’était celui d’être clair ; j’habitais le troisième étage d’un châlit et, de mon perchoir, je voyais, au-dehors des barbelés, un amas formidable de caisses noires portant des numéros peints en blanc, dont je n’ai jamais su ce qu’elles contenaient. Puis, plus loin, une voie ferrée qu’un petit train parcourait plusieurs fois par jour pour amener les « meisters ». Nous guettions le bruit de sa cloche, seule distraction qui nous parvint du dehors pendant ces longs mois, hormis la petite voiture blanche d’un laitier, tirée par un cheval brun.
À cinq cents mètres environ, on voyait un autre hall qui nous semblait terriblement sinistre ; je crois que des prisonniers de guerre français y travaillaient ; et, un peu sur la droite, le terrain d’aviation avec quelques avions qui décollaient et atterrissaient, c’était tout.
L’été, nous apercevions un peu de verdure au loin, très loin, mais l’hiver, c’était horriblement triste et lugubre.
Le réfectoire était au sous-sol, dans la cave, et lorsque nous nous y précipitions à l’heure de la soupe, on avait l’impression de quitter l’usine au bruit infernal pour pénétrer dans un sombre cachot.
Ce réfectoire contenait vingt-quatre tables longues et étroites et des bancs. Nous étions douze à chaque table en nous serrant bien et en nous gênant terriblement.
Les abris faisaient suite au réfectoire. Quelques-uns avaient des sorties de secours, mais d’autres ne possédaient qu’une issue. Au bout de quelques heures, l’air venait à manquer car nous étions fort nombreuses (six cent cinquante femmes tassées les unes contre les autres). À partir de janvier, nous eûmes continuellement des alertes qui duraient quatre, cinq et même six heures.
Ces stations dans les, abris étaient très pénibles, et surtout excessivement fatigantes, car il ne fallait pas compter pouvoir dormir. Il nous était interdit d’utiliser les latrines qui s’y trouvaient, et dès l’alerte terminée, nous devions encore stationner pendant plus d’une demi-heure avant de pouvoir pénétrer dans les quelques lieux d’aisance qui nous étaient attribués. Leurs murs.étaient couverts de graffiti dont voici un exemple :
« Quand je viens en ces lieux, dans cet endroit charmant
Soit pour y rêvasser, soit pour du plus urgent,
Et que sur ces murs peints, je vois toutes ces virgules,
Je pense à ta moustache, Ô ! vaincu ridicule !
Et quand mon postérieur, sur ce siège est assis
Je trouve que ton visage a beaucoup moins d’esprit
Et qu’au lieu d’un képi, sur ta tête, saperlotte,
Ta figure serait mieux, Adolf, dans une culotte. »
Quelques-unes de mes camarades, et moi-même, avions fini par refuser énergiquement de descendre dans ces abris, mais on ne saurait imaginer les frayeurs épouvantables que nous avons endurées, car nous avions plus peur de la « schlague » du kommandant et des « coups
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