Le Capitaine Micah Clarke
ils nous sommèrent de poser les armes et de leur
rendre hommage.
« – À qui ? demandai-je.
« Ils montrèrent l'un d'eux qui était
vêtu d'un costume plus voyant et était un peu plus ivre que les
autres.
« – Voici notre très souverain
soigneur.
« – Souverain de quoi ?
demandai-je.
« – Souverain des Tityre-tu,
répondirent-ils. Oh ! très barbares et cocus de bourgeois, ne
vous apercevez-vous pas que vous êtes tombés entre les mains de cet
ordre très noble ?
« – Ce n'est point votre véritable
monarque, dis-je, car celui-ci est enchaîné dans l'abîme,
au-dessous de nous, et c'est là qu'un jour il réunira autour de lui
ses fidèles sujets.
« – Entendez-vous, il a tenu des propos
de traître, crièrent-ils.
« Sur quoi, sans autre préambule, ils
foncèrent sur nous, l'épée et le poignard en main.
« L'ami Foster et moi, nous nous
adossâmes contre un mur, et nos manteaux roulés autour de notre
bras gauche, nous jouâmes de nos armes, et fîmes si bien que nous
atteignîmes un ou deux de ces fendants de la vieille ruelle de
Wigan.
« L'ami Foster, en particulier, piqua le
Roi de telle façon que Sa Majesté s'enfuit dans la rue en hurlant
comme un petit bouledogue qu'on saigne.
« Mais nous étions accablés par le
nombre, et notre mission aurait peut-être été terminée à ce moment
et à cet endroit, si la garde n'était pas entrée en scène, pour
faire tomber nos armes d'un coup de hallebarde, et n'avait ainsi
arrêté toute la troupe.
« Pendant qu'avait lieu cette
échauffourée, les bourgeois des maisons voisines versaient de l'eau
sur nous, comme sur des chats de gouttières, et si cela ne
refroidit pas notre ardeur au combat, cela nous mit dans un état
fâcheux et peu présentable.
« Nous fûmes traînés ainsi au poste de
garde, et nous y passâmes la nuit en compagnie de braillards, de
voleurs et de marchandes d'oranges, mais je suis fier de pouvoir
dire que mon ami Foster et moi-même nous dîmes à celles-ci quelques
paroles de joie et de réconfort.
« On nous relâcha dans la matinée, et
secouant aussitôt de nos souliers la poussière de Londres, nous
partîmes.
« Et je souhaite de n'y jamais retourner,
à moins que ce ne soit à la tête de nos régiments du Comte de
Somerset, pour voir le Roi Monmouth poser sur sa tête la couronne,
qu'il aura arrachée, dans une lutte loyale, au corrupteur
papiste.
Lorsque Maître Stephen Timewell eut achevé son
récit, il se fit un brouhaha général, et on se leva de tous côtés,
ce qui annonçait la fin du repas.
La compagnie sortit en lent défilé par ordre
d'ancienneté.
Tous avaient la même expression sombre et
sérieuse, la démarche grave, les yeux baissés.
Ces façons puritaines m'étaient, il est vrai,
familières depuis mon enfance, mais jusqu'alors je ne les avais
point vu pratiquées par une maisonnée nombreuse, et je n'avais
point remarqué leur effet sur un aussi grand nombre de jeunes
gens.
– Vous resterez quelques instants encore, dit
le Maire, au moment où nous allions les suivre. William, apportez
un flacon de vieux vin du Rhin à cachet vert. Ces réconforts
charnels, je ne les offre point devant mes jeunes gens, car ce qui
leur convient le mieux, c'est le bœuf et une bière saine. À
l'occasion toutefois, je partage l'opinion de Paul à savoir qu'un
flacon de vin entre amis n'est point chose mauvaise pour l'esprit
et le corps. Vous pouvez vous retirer maintenant, ma chérie, si
vous avez quelque chose à faire.
– Est-ce que vous allez sortir de
nouveau ? demanda Ruth.
– Bientôt. Je dois aller à l'Hôtel de Ville.
La revue des armes n'est pas terminée.
– Je tiendrai votre costume prêt, ainsi que
les chambres de nos hôtes, répondit-elle.
Après quoi, nous adressant un joli sourire,
elle partit de son pas léger.
– Je voudrais pouvoir gouverner la ville comme
cette fillette dirige cette maison, dit le Maire. Il n'est pas une
chose nécessaire à laquelle elle ne pourvoie, avant même qu'on n'en
sente le besoin. Elle lit mes pensées et y conforme ses actes avant
que mes lèvres aient eu le temps de les exprimer. S'il me reste
encore quelque force à consacrer au service public, c'est parce que
ma vie privée est toute pleine d'une paix reposante. N'ayez nulle
crainte au sujet du vin du Rhin : il vient de chez Brooke et
Hellier, d'Abchurch-Lane, et il mérite toute confiance.
– Ce qui prouve que du moins il vient de
Londres une bonne chose,
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