Le Capitaine Micah Clarke
tous sur nos
chaises, en échangeant des regards effarés, à l'exception de Sir
Gervas Jérôme, dont la sérénité naturelle était à l'épreuve de
toute perturbation.
Vous vous le rappelez sans doute, mes enfants
quand j'ai commencé à vous raconter ces incidents de ma vie, j'ai
dit que les espérances du parti de Monmouth reposaient en grande
partie sur l'invasion des exilés écossais dans le comté d'Ayr.
On comptait y faire naître ainsi des troubles,
tels qu'ils détourneraient une bonne partie des forces du Roi
Jacques, ce qui rendrait notre marche sur Londres moins
difficile.
On y comptait d'autant plus sûrement que les
domaines d'Argyle étaient situés dans cette région de l'Écosse, où
il pouvait lever cinq mille hommes armés de sabres parmi les gens
de son clan.
En outre, il y avait, dans les comtés de
l'Ouest, un très grand nombre de farouches zélotes, tout prêts à
soutenir la cause du Covenant, et qui avaient prouvé, en maintes
escarmouches, leurs brillantes qualités guerrières.
Il semblait certain qu'avec le concours des
Highlanders et des Covenantaires, Argyle serait capable de
résister, d'autant mieux qu'il avait emmené avec lui en Écosse le
puritain anglais Rumbold, et un grand nombre d'autres gens de
guerre habiles.
La nouvelle inattendue de sa défaite complète
était donc un coup terrible, car il en résultait que nous aurions
affaire à toutes les forces du Gouvernement.
– Tenez-vous cette nouvelle d'une source
sûre ? demanda Decimus Saxon, après un long silence.
– C'est une certitude qui n'admet pas de
doute, répondit Maître Stephen Timewell. Toutefois je comprends
bien votre surprise, car le Duc était entouré de conseillers dignes
de confiance. Il y avait Sir Patrick Hume, de Polwarth.
– Tout en paroles, rien en action, dit
Saxon.
– Et Richard Rumbold.
– Tout en action, rien en paroles, dit notre
compagnon. M’est avis qu'il aurait dû faire en sorte qu'on parlât
mieux de lui.
– Puis il y avait le Major Elphinstone.
– Un sot et un fanfaron.
– Et Sir John Cochrane.
– Un traînard captieux, à la langue longue, à
l'intelligence courte, dit le soldat de fortune. Commandée par de
tels hommes, l'expédition était condamnée dès le début. Pourtant je
me figure que tout au moins, et en admettant qu'ils ne fissent rien
de plus, ils auraient pu se jeter dans la région montagneuse, où
ces
caterans
aux jambes nues auraient pu se maintenir
parmi les nuages et les brouillards de leur pays natal. Tous pris,
dites-vous ? C'est une leçon, un avertissement pour nous. Je
vous le dis, si Monmouth n'infuse pas plus d'énergie dans ses
conseils, s'il hésite à pousser tout droit vers le cœur, s'il fait
des passes, des feintes d'escrime aux extrémités, nous nous
trouverons dans la situation d'Argyle et de Rumbold. Que signifient
ces deux journées gaspillées à Axminster, en un temps où chaque
heure a son prix ? Faudra-t-il chaque fois qu'il se frottera
contre un corps de milice et le rejettera de côté, qu'il se repose
quarante-huit heures, pour chanter «
Te Deum
»
alors que Churchill et Feversham sont en route, je le sais, pour
l’Ouest avec tous les hommes qu'ils ont pu ramasser, et que les
Grenadiers hollandais pullulent comme les rats dans un magasin de
grains ?
– Vous avez parfaitement raison, Colonel
Saxon, répondit le Maire, et j'espère que, quand le Roi arrivera
ici, nous réussirons à lui inspirer une action plus rapide. Il a
grand besoin de conseillers plus entendus à la guerre, car depuis
le départ de Fletcher, il n'a guère autour de lui de gens qui aient
appris le métier des armes.
– Bon, dit Saxon, d'un air bourru, maintenant
qu'Argyle a disparu, nous voici face à face avec le Roi Jacques,
sans pouvoir compter sur autre chose que nos bonnes épées.
– Sur elles et sur la justice de notre cause.
Comment trouvez-vous ces nouvelles, jeunes messieurs ? Est-ce
qu'elles auraient fait perdre au vin tout son bouquet ?
Seriez-vous enclins à déserter le drapeau du Seigneur ?
– Pour mon compte, dis-je, j'entends voir la
chose jusqu'au dénouement.
– Et moi, dit Ruben Lockarby, je suivrai Micah
Clarke partout où il ira.
– Quant à moi, dit Sir Gervas, la chose m'est
parfaitement indifférente, tant que je suis en bonne compagnie et
qu'il y a de quoi donner de fortes émotions.
– En ce cas, dit le Maire, ce qu'il y a de
mieux à faire, c'est que chacun remplisse son rôle propre, et que
nous
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