Le Capitaine Micah Clarke
se pose
en être supérieur à son prochain.
Je me borne à vous exposer les faits, aussi
bien que je puis me les rappeler, avec une parfaite franchise, et
dans toute leur vérité.
Mon court retard, mon hésitation avaient fait
monter à la figure du Duc une vive rougeur de colère.
Aussi je tirai de ma poche intérieure le
paquet de papiers, que je lui tendis en m'inclinant avec
respect.
Lorsque ses yeux tombèrent sur la suscription,
il eut un sursaut de surprise et d'agitation et fit un mouvement
comme pour les cacher dans son habit.
Si tel fut son premier mouvement, il le
maîtrisa et resta perdu dans des réflexions pendant une minute au
moins les papiers à la main.
Puis, avec un rapide hochement de tête, de
l'air d'un homme qui a pris son parti, il rompit les sceaux et
parcourut le texte, qu'il jeta ensuite sur la table avec un rire
amer.
– Qu'en dites-vous, gentilshommes,
s'écria-t-il, en jetant autour de lui un regard dédaigneux, que
pensez-vous que soit ce message particulier ? C'est une lettre
que le traître Monmouth m'adresse pour m'inviter à abandonner le
service de mon souverain naturel et à tirer l'épée en sa faveur. Si
j'agis ainsi, je puis compter sur la grâce de sa faveur et de sa
protection. Sinon, j'encours la confiscation, le bannissement et la
ruine. Il croit que la loyauté de Beaufort s'achète comme la
marchandise d'un colporteur, ou qu'on peut le contraindre à s'en
départir par un langage menaçant. Le descendant de Jean de Gand
rendra donc hommage au rejeton d'une actrice ambulante !
Plusieurs des personnes présentes se
dressèrent brusquement, et un bourdonnement général de surprise et
de colère succéda aux paroles du Duc.
Il resta assis les sourcils baissés, frappant
le sol du pied et remuant les papiers sur la table.
– Qu'est-ce qui a élevé ses espérances à une
telle hauteur ? s'écria-t-il. Comment ose-t-il envoyer une
pareille lettre à un homme de ma qualité. Est-ce parce qu’il a vu
une meute de méprisables miliciens lui montrer les talons, et parce
qu'il a fait quitter la charrue à quelques centaines de mangeurs de
lard pour les décider à suivre son drapeau, qu'il ose tenir un
pareil langage au Président des Galles ? Mais vous me rendrez
témoignage des dispositions avec lesquelles je l'ai accueilli.
– Nous saurons mettre votre Grâce à l'abri de
tout danger d’être calomniée sur ce point, dit un officier d'un
certain âge dont la remarque fut suivie d'un murmure approbateur de
tous les autres.
– Et vous, s'écria Beaufort, en élevant la
voix et dirigeant sur moi ses yeux flamboyants, qui êtes-vous pour
oser porter un pareil message à Badminton ? Vous avez
certainement donné congé à votre bon sens, avant de partir pour une
commission de cette sorte.
– Ici comme partout ailleurs je suis dans la
main de Dieu, répondis-je, dans un éclair du fatalisme paternel.
J'ai fait ce que j'avais promis de faire. Le reste ne me regarde
point.
– Vous allez voir que cela vous regarde de
fort près, hurla-t-il, en s'élançant de son siège et arpentant la
pièce, de si près que cela mettra fin à toutes les autres choses de
ce monde qui vous regardent. Qu'on appelle les hallebardiers du
premier vestibule ! Maintenant, mon homme, qu'avez-vous à dire
pour votre défense ?
– Il n'y a rien à dire, répondis-je.
– Mais il y a quelque chose à faire,
répliqua-t-il avec un redoublement de fureur. Qu'on saisisse cet
homme et qu'on lui lie les mains !
Quatre hallebardiers, qui avaient répondu à
l'appel du Duc, s'avancèrent et mirent la main sur moi.
Résister eût été de la folie, car je n'avais
nulle intention de malmener des gens qui faisaient leur devoir.
J'étais venu en acceptant mon destin, et si ce
destin devait être la mort, ainsi que cela semblait alors très
probable, il faudrait m'y résigner comme à une chose prévue.
Alors me revinrent à la pensée ces vers
distiques que Maître Chillingfoot avait toujours recommandés à
notre admiration :
Non civium ardor prava jubentium,
Non vultus instantis tyranni,
Mente quatit solida.
(L'emportement des citoyens exigeant des
choses coupables, ni le visage du tyran qui menace, n'ébranlent sa
fermeté d'âme).
Il était là,
vultus instantis
tyranni
, en cet homme corpulent, en perruque, en dentelles, à
la face jaune.
J'avais obéi au poète en ce sens que mon
courage n'avait point été ébranlé.
J'avoue que cette masse de poussière tournant
sur
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