Le cercle de Dante
Dante, il ne faisait aucun doute que l’exilé nourrissait deux espoirs en composant La Divine Comédie : retourner dans sa patrie, sa Florence bien-aimée – ce qui lui serait refusé ; revoir sa Béatrice – ce qui ne se produirait pas non plus.
Dante avait écrit son poème dans l’errance, alors qu’il était privé de toit, réduit parfois à emprunter l’encre pour l’écrire. Assurément, aux abords d’une cité étrangère, il devait se dire qu’il ne refranchirait jamais les portes de sa ville. Et quand il voyait se profiler au loin, au sommet des collines, les tours d’un château féodal, il pensait certainement que les puissants étaient bien arrogants et les faibles bien maltraités. Le moindre cours d’eau, le moindre fleuve devait lui rappeler l’Arno, et chaque son de voix lui signifier par son accent qu’il était un exilé. Sa poésie n’était pas autre chose que la quête d’un foyer.
Longfellow était méthodique en ce qui concernait l’usage de son temps. Il réservait à l’écriture les premières heures de la journée et la fin de la matinée à ses affaires personnelles, ne recevant personne avant midi, sauf ses enfants naturellement.
Il écuma la pile de courrier en attente et attira vers lui sa boîte à autographes. Il en préparait toujours à l’avance sur de petits carrés de papier. Depuis qu ’Evangeline lui avait apporté la célébrité, voilà des années, il recevait régulièrement des demandes de signatures. Une jeune femme de Virginie avait inclus sa carte de visite portant au dos son portrait et ajouté de sa main, au-dessus de l’adresse : « Quel défaut y trouverait-on ? » Longfellow leva un sourcil. « Une trop grande jeunesse », répondit-il par-devers lui. Il se contenta de renvoyer un autographe standard sans aucun commentaire. Après avoir cacheté deux douzaines d’enveloppes, il rédigea un aimable refus. Il n’aimait pas se montrer discourtois, mais cette correspondante-là le priait de lui adresser cinquante autographes qu’elle offrait à ses invités au cours d’un grand dîner. En revanche, la lettre d’une autre lectrice le ravit. Elle lui rapportait que sa fille était accourue dans le salon après avoir découvert un faucheux sur son oreiller en s’écriant : « Papa Longfellow {17} est dans ma chambre ! »
Dans la pile du courrier récent, il trouva avec plaisir un mot de Mary Frere. Il avait fait la connaissance de cette jeune dame d’Auburn, dans l’État de New York, un été à Nahant. Le soir, ses petites filles couchées, il s’était souvent promené avec elle le long du rivage rocheux, parlant musique et poésie. Longfellow lui répondit par une longue missive, précisant que ses trois filles demandaient souvent de ses nouvelles et le priaient de s’enquérir de l’endroit où elle comptait passer l’été suivant.
Longfellow céda à la tentation de laisser son regard errer par la fenêtre. Au début de l’automne, il s’attendait toujours à voir renaître sa verve créatrice. Dans son âtre, le feu avait été remplacé par un amas de feuilles séchées imitant l’or des flammes. Il nota que la lumière de cette chaude journée avait baissé sans qu’il s’en fût rendu compte, enfermé qu’il était dans son cabinet de travail aux murs peints en brun. Ces vastes prés qui s’étiraient jusqu’aux eaux miroitantes de la rivière Charles, il les avait acquis tout récemment, non pas dans le but d’accroître la valeur de sa propriété, comme le voulait la rumeur populaire, mais pour empêcher qu’une construction ne vînt gâcher sa vue.
Les arbres portaient des fruits bruns disséminés dans le feuillage, et les buissons avaient troqué leur floraison pour des grappes de baies rouges. Le vent avait une voix âpre et masculine qui n’était pas celle d’un amoureux, plutôt celle d’un époux.
La journée se déroula exactement selon le rythme habituel. Son dîner achevé, Longfellow renvoya ses serviteurs et décida de rattraper son retard dans la lecture des journaux. C’est ainsi que, après avoir allumé la lampe dans son cabinet de travail, il lut dans l’édition du soir du Transcript la curieuse annonce insérée par Ednah Healey. L’article rapportait les détails du meurtre d’Artemus, jusque-là passés sous silence « sur le conseil du chef de la police et d’autres personnages officiels » , disait la veuve. Bien vite, le poète fut incapable de lire plus avant,
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