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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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assez vite qu’il n’était plus capable d’écrire de vers de sa composition, et qu’il était en même temps incapable d’interrompre son travail sur Dante. Dans ses mains, la plume était aussi lourde qu’une masse à tailler la pierre : difficile à manier adroitement, mais tellement puissante !
    Longfellow se trouva bientôt du renfort en la personne de Lowell d’abord, puis de Holmes, de Fields et de Greene. Il disait volontiers qu’ils avaient fondé le cercle des Amis de Dante pour occuper les longs hivers de Nouvelle-Angleterre. C’était sa façon à lui, timide et gauche, d’exprimer toute l’importance que cette association avait à ses yeux. Les critiques de ses amis sur les insuffisances de sa traduction ne lui étaient pas toujours agréables à entendre mais, après, le dîner lui offrait une agréable occasion de se racheter.
    Il s’était remis à la révision des derniers chants de L’Enfer quand un bruit sourd retentit dehors. Le chien émit un bref aboiement.
    « Monsieur Trap, de quoi s’agit-il, mon ami ? »
    Ne trouvant pas l’origine de la perturbation, l’animal bâilla et se renfonça dans le seau à champagne douillettement tapissé de paille qui lui tenait lieu de panier. Voulant inspecter les lieux, Longfellow passa dans la salle à manger plongée dans l’obscurité. Dehors, on ne voyait rien. Il scrutait toujours la fenêtre noire quand, soudain, des yeux jaillirent de l’ombre, accompagnés d’un éclat de lumière éblouissant. De surprise il bondit en arrière, le cœur chaviré. L’homme entr’aperçu, si tant est qu’il eût bien vu un visage, venait de s’évanouir, et la seule trace de cette vision était le rond de buée qu’il avait laissé lui-même sur la vitre à hauteur de sa bouche. Dans son mouvement, il percuta une vitrine et envoya à terre le service d’Appelton qu’il avait reçu en dot du père de Fanny ainsi que cette demeure. Le bris en cascade de toute cette vaisselle résonna avec un fracas d’émeute, arrachant à Longfellow un cri de détresse aussi perçant qu’irrationnel.
    Trap se rua en aboyant de toute la force de son corps minuscule tandis que son maître, fuyant la salle à manger, courait se réfugier à la bibliothèque, auprès du feu de bois. L’instant d’après, il retournait scruter l’obscurité du dehors. Peut-être Jemmy Lowell ou Wendell Holmes allaient-ils apparaître à sa porte en s’excusant de l’avoir effrayé involontairement en cette heure indue. Il ne vit par la fenêtre que le noir de la nuit et se remit à écrire d’une main tremblante.
     
    À l’instant précis où le cri de Longfellow dévalait Brattle Street, James Russell Lowell avait les oreilles à moitié immergées dans son bain. Les yeux fermés, il écoutait le caverneux clapotis de l’eau en se demandant où la vie s’était enfuie. La petite lucarne au-dessus de sa tête était ouverte, et la nuit était fraîche. Si d’aventure Fanny entrait, ce serait pour lui ordonner d’aller se mettre au chaud dans son lit, séance tenante.
    À l’époque où il avait atteint à la célébrité, la plupart des poètes connus étaient bien plus âgés que lui, à commencer par Longfellow et Holmes, de dix ans ses aînés. Il s’était si bien habitué à ce titre de jeune poète qu’aujourd’hui, à quarante-huit ans, il avait l’impression de l’avoir perdu à la suite d’une mauvaise action.
    Il tira sans plaisir sur son quatrième cigare de la journée, laissant négligemment les cendres tomber dans l’eau du bain. En des temps qui n’étaient pas si lointains, son baquet était bien plus spacieux et il y avait toujours des lames de rasoir neuves sur l’étagère. Il s’interrogea sur leur absence. Fanny ou Mabel, plus perspicaces qu’il ne voulait le croire, auraient-elles deviné les pensées noires qui le taraudaient pendant qu’il trempait dans l’eau ? Cette goutte de sang noir, il prétendait l’avoir héritée de sa pauvre mère. Dans sa jeunesse, avant de rencontrer sa première épouse, il avait eu pour habitude de porter de la strychnine dans la poche de son gilet et, vers la même époque, il lui était arrivé de placer un pistolet chargé contre son front. Il n’avait pas eu le cran d’appuyer sur la gâchette et en éprouvait encore de la honte à ce jour. Finalement, en se croyant capable d’un acte aussi définitif, il n’avait fait que se flatter lui-même.
    Quand Maria White Lowell, son épouse

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