Le Chant de l'épée
l’art des armes. Ce
seraient des Danes de guerre, des adversaires redoutables.
— Le roi, dit Gisela, va vouloir savoir
comment tu comptes t’y prendre.
— Je le lui dirai.
— Vraiment ?
— Bien sûr : c’est le roi.
Elle posa sa quenouille et fronça les sourcils.
— Tu lui diras la vérité ?
— Bien sûr que non. Il est peut-être le
roi, mais je ne suis point sot.
Elle éclata de rire, rejointe par Stiorra.
— Si seulement je pouvais venir avec toi
à Lundene, soupira Gisela.
— Tu ne le peux.
— Je sais, dit-elle d’un ton humble qui
ne lui ressemblait pas. Je ne le peux vraiment pas, ajouta-t-elle en touchant
son ventre.
Je la regardai et il fallut longtemps avant
que je comprenne. Je souris, puis j’éclatai de rire en faisant sauter Stiorra
dans mes bras.
— Ta mère est grosse d’enfant, dis-je à
la petite qui piaillait de délices.
— Tout cela par la faute de ton père, ajouta
Gisela d’un ton sévère.
Nous étions heureux.
Æthelred était mon
cousin, le fils du frère de ma mère. Il était mercien, mais loyal à Alfred de
Wessex depuis des années, et ce jour-là à Wintanceaster, dans la grande église
qu’avait fait bâtir Alfred, Æthelred de Mercie recevait la récompense de sa
loyauté.
On lui donnait la main d’Æthelflæd, fille
aînée et deuxième enfant d’Alfred. Elle avait des cheveux d’or et des yeux
couleur de ciel d’été. Æthelflæd avait treize ou quatorze ans, l’âge qui
convient pour qu’une fille se marie, et elle était devenue une jeune femme
droite et au regard décidé. Elle était déjà aussi grande que l’homme qui serait
son époux.
Æthelred est un héros, à présent. J’entends
parler de lui à la veillée dans les châteaux saxons, dans toute l’Anglie. Æthelred
le Téméraire, Æthelred le Guerrier, Æthelred le Loyal. Je souris quand j’entends
ces contes, mais je ne dis rien, pas même lorsqu’on me demande s’il est vrai
que je le connus autrefois. Bien sûr, il est vrai qu’il fut un guerrier avant
que la maladie l’affaiblisse et le cloue. Il est vrai aussi qu’il fut téméraire,
même si sa suprême habileté consista à payer des scaldes pour en faire des
courtisans prêts à chanter ses exploits. À la cour d’Æthelred, un homme pouvait
s’enrichir s’il savait enfiler les mots comme des perles.
Il ne fut jamais roi de Mercie bien qu’il le
désirât. Alfred s’en assura, car Alfred ne voulait nul roi en Mercie. Il
voulait qu’elle fût gouvernée par un loyal partisan, tributaire de l’argent des
Saxons de l’Ouest, et il choisit Æthelred. Il lui donna le titre d’ealdorman de
Mercie, ce qui lui donnait l’autorité d’un roi, sinon le nom, mais les Danes du
nord du pays ne reconnurent jamais cette autorité. Ils reconnaissaient son
pouvoir, du fait qu’il était le gendre d’Alfred, et c’est pourquoi les thanes
saxons du Sud l’acceptèrent aussi. Ils n’aimaient peut-être point l’ealdorman Æthelred,
mais ils savaient qu’il était capable de les défendre contre les Danes du Sud.
Et par une journée de printemps à
Wintanceaster, remplie de soleil et de trilles d’oiseaux, Æthelred parvint au
pouvoir. Il entra d’un pas majestueux dans la grande église, un large sourire
sur son visage à barbe rousse. Il avait toujours cru que tout le monde l’aimait,
et c’était peut-être vrai de certains, mais pas de moi.
Mon cousin était petit, querelleur et vantard,
avec le menton volontaire et le regard agressif. Il avait deux fois l’âge de sa
promise et, pendant presque cinq ans, il avait commandé la garde du roi, poste
qu’il devait plus à sa naissance qu’à son talent. Il avait eu la bonne fortune
d’hériter de terres qui couvraient presque tout le sud de la Mercie, ce qui
faisait de lui le seigneur le plus important de la région et le chef légitime
de ce triste pays.
Alfred ne le vit jamais. Il s’était laissé duper
par la flamboyante piété d’Æthelred et par sa tendance à toujours opiner. Oui, seigneur,
mon seigneur, laissez-moi vider votre seau de nuit, seigneur, et aussi lécher
votre royal séant, seigneur. Tel était Æthelred, et sa récompense fut Æthelflæd.
Elle entra dans l’église peu après Æthelred, aussi
souriante que lui. Rayonnante, éprise d’amour, elle était en ce jour
transportée aux cimes de la joie. C’était une svelte jeune femme dont la hanche
ondulait déjà, avec de longues jambes minces et un visage
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