Le Chant de l'épée
ramaient pour nous.
Je m’assis sur la petite plate-forme à la
proue et fus rejoint par le père Pyrlig. Je lui avais donné ma cape, qu’il
serrait autour de lui. Il avait trouvé un peu de pain et de fromage, ce qui ne
me surprit guère, car je n’ai jamais connu homme qui mangeât autant.
— Comment savais-tu que je vaincrais
Sigefrid ? demanda-t-il.
— Je l’ignorais. J’espérais même qu’il te
battrait, pour qu’il y ait un chrétien de moins.
Cela le fit sourire.
— Je savais que je ne pouvais frapper que
deux ou trois fois avant qu’il comprenne ce qui se passait. Et là il m’aurait
taillé en pièces.
— Certes, mais je crois que tu as eu tes
trois coups et qu’ils ont été suffisants.
— Merci pour cela, Uhtred, dit-il en
rompant un peu de fromage et en me le tendant. Comment te portes-tu ?
— Je m’ennuie.
— J’ai ouï dire que tu étais marié ?
— Ce n’est pas elle qui m’ennuie, me
hâtai-je de répondre.
— Tant mieux ! Moi, je ne supporte
pas mon épouse. Par Dieu, quelle langue de vipère ! Elle fendrait une
dalle d’ardoise rien qu’en lui parlant ! Tu ne l’as jamais vue, n’est-ce
pas ?
— Non.
— Parfois, je maudis Dieu d’avoir pris
une côte d’Adam pour façonner Ève, mais il me suffit de voir une jeune fille
pour que mon cœur bondisse et que je me dise qu’il savait ce qu’il faisait.
— Je croyais que les prêtres chrétiens
devaient donner l’exemple ?
— Et qu’y a-t-il de mal à admirer l’œuvre
du Créateur ? Surtout si elle est jeune, avec une belle croupe et un ample
giron. (Il sourit, puis il se rembrunit :) On m’a dit que tu avais été
prisonnier ?
— C’est vrai.
— J’ai prié pour toi.
— Merci.
Et j’étais sincère. Je n’adorais pas le dieu
chrétien, mais, comme Erik, je redoutais qu’il ne détienne un certain pouvoir, et
le prier ne pouvait pas faire de mal.
— Mais il paraît que c’est Alfred qui t’a
fait libérer ?
Je marquai une pause. Comme toujours, je
détestais devoir reconnaître une dette envers Alfred, mais j’admis à contrecœur
qu’il y avait contribué.
— Il a envoyé des hommes qui m’ont libéré,
concédai-je, oui.
— Et tu le récompenses, seigneur Uhtred, en
te faisant appeler roi de Mercie ?
— Tu as entendu dire cela ?
— Bien sûr que oui ! Ce grand crétin
de Norse l’a beuglé à cinq pas de mes oreilles. Es-tu roi de Mercie ?
— Non, dis-je en me retenant d’ajouter :
« pas encore ».
— Il me semblait bien. Je l’aurais su, tout
de même. Et je ne crois pas que tu le seras, sauf si Alfred le désire.
— Peu me chaut.
— Et bien sûr, je devrais lui répéter ce
que j’ai entendu.
— Oui, tu devrais, dis-je amèrement.
Je m’appuyai contre la proue et fixai le dos
des rameurs. Je guettai aussi d’éventuels poursuivants, m’attendant à voir
quelque rapide navire de guerre apparaître derrière nous, mais je ne vis nul
mât poindre. Erik avait donc réussi à convaincre son frère de ne pas chercher à
se venger tout de suite de son humiliation.
— De qui est donc cette idée que tu sois
roi de Mercie ? demanda Pyrlig. De Sigefrid ? C’est lui qui a eu
cette idée folle…
— Folle ? répétai-je innocemment.
— L’homme n’est pas fou, et son frère
encore moins. Ils savent qu’Æthelstan vieillit en Estanglie et se demandent qui
sera roi après lui. Et il n’y a pas de roi en Mercie. Mais il ne peut pas
simplement prendre la Mercie… Les Saxons résisteraient et Alfred les aiderait. Les
frères Thurgilson se retrouveraient devant une meute en furie ! Du coup, Sigefrid
a eu l’idée de rallier des hommes et de prendre d’abord l’Estanglie, puis la
Mercie, et enfin le Wessex ! Et pour cela il lui faut Ragnar et les hommes
de Northumbrie.
Je fus stupéfait que Pyrlig, un proche d’Alfred,
sache tout des projets de Sigefrid, Erik et Haesten, mais je n’en montrai rien.
— Ragnar ne combattra point, dis-je, tentant
de mettre fin à la conversation.
— À moins que tu ne le lui demandes, répliqua
Pyrlig. Mais que peut t’offrir Sigefrid ? La Mercie, conclut-il devant mon
silence.
— Tout cela paraît fort compliqué.
— Sigefrid et Haesten, continua Pyrlig
sans relever, ont l’ambition d’être rois. Mais il n’y a que quatre royaumes, ici.
Ils ne peuvent prendre la Northumbrie, car Ragnar ne les laissera point faire. Ni
la Mercie, à cause d’Alfred.
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