Le Chant de l'épée
Mais comme Æthelstan se fait vieux, ils pourraient
prendre l’Estanglie. Et pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ? Prendre le
Wessex ? Sigefrid dit qu’il mettrait cet ivrogne d’Æthelwold sur le trône
et que cela calmerait les Saxons le temps qu’il l’assassine. Entre-temps, Haesten
serait roi d’Estanglie et quelqu’un d’autre, toi peut-être, de Mercie. Sans nul
doute, ils s’en prendraient alors à toi et se partageraient la Mercie. Voilà l’idée,
seigneur Uhtred, et elle n’est point mauvaise ! Mais qui suivrait ces deux
brigands ?
— Personne, mentis-je.
— Sauf quelqu’un qui serait convaincu que
les Nornes sont de son côté, dit-il d’un ton dégagé avant de me lorgner. As-tu
vu le mort ?
Je fus si surpris que je ne pus répondre et
dus me contenter de fixer son visage rond.
— On l’appelle Bjorn, ajouta-t-il en
enfournant un morceau de fromage.
— Les morts ne mentent pas, bafouillai-je.
— Mais les vivants, si ! Par Dieu, que
oui ! Même moi, je mens, seigneur Uhtred, sourit-il malicieusement. J’ai
fait mander à ma femme qu’elle détesterait l’Estanglie !
Il éclata de rire. Alfred avait demandé à
Pyrlig d’aller en Estanglie, parce qu’il était prêtre et parlait danois, et sa
tâche était d’éduquer Guthrum aux coutumes chrétiennes.
— En réalité, elle s’y plairait ! continua-t-il.
Il y fait plus chaud que chez nous et il n’y a point de collines. C’est plat et
humide, l’Estanglie. Et ma femme n’a jamais beaucoup aimé les collines, ce qui
explique que j’aie trouvé Dieu : je me réfugiais dans les collines pour ne
pas l’avoir sur le dos, et plus on est haut, plus on est proche de Dieu. Bjorn
n’est pas mort.
Il avait débité ces derniers mots brutalement
et je lui répondis sur le même ton :
— Je l’ai vu.
— Tu as vu un homme sortir d’un tombeau, rien
de plus.
— Je l’ai vu !
— Bien sûr que oui. Et tu n’as jamais
songé à remettre en question ce que tu as vu, n’est-ce pas ? Bjorn avait
été enterré juste avant ton arrivée. On a versé de la terre sur lui et il
respirait grâce à une tige de roseau.
Je me souvins que Bjorn avait craché quelque
chose quand il s’était redressé. Pas la corde de harpe, mais autre chose. J’avais
cru que c’était de la terre, mais c’était plus clair. Je n’y avais pas pensé
sur le moment, mais à présent je comprenais que cette résurrection avait été
une comédie. Et sur le pont du Cygne, les derniers restes de mon rêve s’effondrèrent.
Je ne serais pas roi.
— Comment le sais-tu ? demandai-je.
— Le roi Æthelstan n’est point sot. Il a
ses espions. Était-il convaincant ?
— Très, répondis-je, amer.
— C’est l’un des hommes d’Haesten, et si
nous le capturons il ira en enfer. Que t’a-t-il dit ?
— Que je serais roi de Mercie. Roi des
Saxons et des Danes, ennemi des Gallois, roi et seigneur de toute la terre
entre les rivières. Et je l’ai cru.
— Mais comment pourrais-tu régner sur la
Mercie sans qu’Alfred t’en fasse roi ?
— Alfred ?
— Tu lui as prêté serment, n’est-ce pas ?
J’avais honte de dire la vérité, mais je n’avais
pas le choix.
— Oui.
— C’est pourquoi je dois le lui dire, me
réprimanda Pyrlig, car un homme qui rompt un serment, c’est une affaire grave, seigneur
Uhtred.
— Certes.
— Et Alfred aura le droit de te mettre à
mort quand il le saura. Mieux vaut tenir sa parole que d’être dupe de ceux qui
font jouer à un homme le rôle d’un mort. Les Nornes ne sont pas de ton côté, seigneur
Uhtred. Crois-moi.
Je lus de la peine dans son regard. Il m’aimait
bien et il me disait pourtant que j’avais été leurré. Et il avait raison ;
mon rêve s’écroulait.
— Quel choix ai-je ? questionnai-je.
Tu sais que je suis allé à Lundene les rejoindre et tu dois le dire à Alfred. Jamais
il ne me fera plus confiance.
— Je doute qu’il te fasse confiance
aujourd’hui, répondit Pyrlig. C’est un sage, Alfred. Mais il te connaît, Uhtred,
il sait que tu es un guerrier, et il a besoin de guerriers. (Il sortit la croix
de bois qu’il portait à son cou.) Jure dessus.
— Jurer quoi ?
— Que tu respecteras ton serment ! Fais-le
et je me tairai. Fais-le, et je nierai tout ce qui est arrivé. Fais-le, et je
te protégerai. Sinon, tu seras mon ennemi et je devrai te tuer.
— Tu t’en penses capable ?
— Ah, tu m’aimes bien,
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