Le Chant de l'épée
l’homme aux béquilles.
— Le paradis de la mort ! hurlai-je.
Tous les hommes du rempart avaient les yeux
braqués sur moi et pensaient toujours que j’étais un ami, car j’avais poussé
mon étrange cri de guerre en danois.
Souriant sous mon casque, je tirai
Souffle-de-Serpent. En bas, Steapa et ses hommes avaient commencé leur massacre.
Dix minutes plus tôt, j’étais dans un rêve
éveillé, et à présent la folie s’était emparée de moi. J’aurais dû attendre que
mes hommes gravissent l’escalier et forment un mur de boucliers, mais quelque
chose me poussa. Je continuais de crier, mais en disant mon nom, cette fois, Souffle-de-Serpent
affamée chantait et j’étais un seigneur de guerre.
La joie de la bataille. L’extase. Cela ne se
borne pas à duper son ennemi, mais à se sentir un dieu. J’avais un jour essayé
de l’expliquer à Gisela, et elle avait caressé mon visage de ses longs doigts.
— C’est mieux que cela ? avait-elle
demandé.
— C’est la même chose.
Ce n’est pas vrai. Dans la bataille, un homme
risque tout pour forger sa réputation. Dans la couche, il ne risque rien. La
joie est comparable, mais celle d’une femme est volatile, alors que la
réputation perdure après l’homme. Et c’est pour cela que je criais mon nom
quand Souffle-de-Serpent moissonna sa première âme. C’était un grand gaillard
au casque cabossé qui brandit instinctivement sa longue épée, mais j’esquivai
de mon bouclier et l’égorgeai. D’un coup d’épaule, j’en fis tomber un autre, lui
piétinai l’entrejambe et esquivai un coup d’épée de l’autre côté. Je l’enjambai,
gagnai le rempart qui protégeait ma droite, comme je le souhaitais. Devant moi
était l’ennemi.
— Uhtred ! hurlai-je en me
précipitant sur eux. Uhtred de Bebbanburg !
J’invitais la mort. En attaquant seul, je
laissais l’ennemi se rassembler derrière moi, mais en cet instant j’étais
immortel. Le temps avait ralenti, mes ennemis étaient des limaces, et moi aussi
rapide que la foudre sur ma cape. J’abattis le premier d’un coup d’estoc dans l’œil
qui lui transperça le crâne ; j’en éventrai un deuxième qui brandissait sa
hache. Je voyais la terreur se peindre sur leur face, et la terreur appelle la
cruauté. Un troisième fut égorgé d’un seul coup. Et, durant tout ce temps, je
hurlais mon nom.
Les deux hommes qui surgirent n’étaient point
sots. Ils s’avancèrent, bouclier contre bouclier, cherchant à m’acculer contre
le rempart pour m’empêcher d’user de Souffle-de-Serpent. Une fois coincé, je
serais à la merci des lames de leurs compagnons. Ces deux-là savaient comment s’y
prendre pour me tuer et ils y étaient bien décidés.
Mais je riais, parce que j’avais deviné leur
plan et qu’ils semblaient si lents. Je fracassai leurs boucliers du mien et ils
crurent m’avoir piégé, car je ne pouvais en repousser deux à la fois. Ils s’arc-boutèrent
derrière leurs boucliers, mais je fis un pas de côté en retirant le mien, les
faisant culbuter en avant. Souffle-de-Serpent s’abattit sur le premier ; le
second esquiva. Mais au même instant, un grand cri s’éleva sur ma gauche.
— Pour le Christ et pour Alfred !
C’était le père Pyrlig qui accourait avec mes
hommes.
— Maudit sot de païen ! me cria-t-il.
J’éclatai de rire. L’épée de Pyrlig entailla
le bras de mon adversaire, et de mon épée j’abaissai son bouclier. Je me
souviens qu’il me regarda alors. Il avait un beau casque orné d’ailes de
corbeau, une barbe d’or et des yeux bleus où se lisait la certitude de sa mort
quand il tenta de soulever son épée de son bras blessé.
— Cramponne-toi à ta lame, lui
conseillai-je.
Il acquiesça. Pyrlig l’abattit, mais je m’étais
déjà élancé sur les autres. À côté de moi, Clapa faisait tant tournoyer sa
hache qu’il était un danger autant pour nous que pour l’ennemi, mais nul ne
voulut nous affronter. Tous fuyaient : la porte était à nous.
Je m’appuyai sur la maçonnerie et m’aperçus qu’elle
était branlante. J’éclatai d’un rire joyeux. Sihtric me sourit, son épée
ensanglantée au poing.
— Des amulettes, seigneur ? demanda-t-il.
— Celle-là, répondis-je en désignant l’homme
aux ailes de corbeau. Il est mort en brave. Je prendrai la sienne.
Il se baissa pour s’emparer du marteau. Derrière
lui, Osferth contemplait fixement les cadavres gisant dans des flaques
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